p.22 › l'avant.

4.9K 729 81
                                    

On a tous le même sweat. Anthracite, un requin rose est cousu sur le pectoral gauche. D'ailleurs, celui de Cesar est beaucoup trop grand : Mace s'amuse à resserrer les cordons sur sa figure. Assise sur des bancs en bois humide, l'équipe est au complet et ondule de conversations diverses et variées :

Benjamin et Dimitris jouent à Clash Royale, Kellin et Sylvester matent des compilations de vines, Mace et Swan filment Cesar qui ne voit plus rien. En fait, je suis le seul à ne pas être collé à mon portable. Plus loin, les filles attendent sagement, jambes croisées, elles discutent en poussant des rires de temps en temps.

Nous sommes samedi matin – très tôt : dans les environs de sept heures – et nous sortons en compétition. Ça faisait longtemps. Bientôt la piscine ouvrira et je pourrais enfin retrouver le plaisir de gagner. Alors oui, il me tarde de nager. Mais pour le moment nous attendons. Comme prévu Sylvester refuse de me parler – bien que nous lui ayons déjà avoué que je n'avais baisé personne. Ce mec est têtu comme une mule... Ai-je encore besoin d'expliquer le pourquoi du comment je ne l'aime pas ? Et puis lui et Anastasia ne se sont pas adressés la parole de toute la journée. Ont-ils rompu ? Ça m'étonnerait.

« Hey.

Ana est assise un peu à l'écart. En jogging, sans maquillage, ses écouteurs la coupent du monde extérieur. Je m'approche d'elle, l'air de rien, et viens me poser à ses côtés.

— Oh, salut Ky.

Je ne sais pas si elle me fait encore la gueule, mais elle a l'air triste.

— Ça va aller pour ce matin ?

— Pourquoi ça n'irait pas ? riposte-t-elle sur la défensive.

— Je ne sais pas, tu as l'air... pas dans ton assiette. Bref, si tu as besoin de quelque chose, n'hésites pas. »

Je me lève et fait craquer ma colonne vertébrale. Mais à l'instant où je m'apprête à repartir, sa main attrape mon poignet.

« Tu me dit ça en tant que Requin ou que Kyrel ?

La question met quelques secondes avant d'atteindre mon cerveau. Mais en l'entendant, mon avant-bras se crispe et elle le sent sous ses doigts.

— Kyrel. Enfin, si tu le veux bien.

La rousse me fait signe de me rassoir.

— Je suis désolée pour toi et Sylvester, elle soupire en lorgnant mes lèvres encore bleues. Je m'en veux à mort pour cette fête, je ne voulais pas que ça se passe comme ça...

— T'inquiète pas pour moi. Ça va s'arranger, essaie plutôt de radoucir les tension entre toi et Syl, je murmure.

— Merci. »

Elle ne cherche pas à poursuivre la conversation. Je sais qu'elle hume mon cou, de loin, car elle n'a jamais su y résister. Je l'attire, et c'est là que se trouve le fond du problème. Comme bon nombre de filles elle aime le parfum des garçons, leurs habits et leurs babioles, celles qui sentent encore le "déo". Les filles sont un petit peu naïves sur ce coup-là, mais elle, elle n'en aime qu'un, de déo : et c'est le mien.

Moi je n'aime pas grand chose. D'autrui, j'entends. Je n'ai jamais prêté attention à ce genre de détails, ni porté de l'importance aux objets et habitudes de mes proches. Je suis sorti avec une dizaine de filles dans toute ma vie, mais jamais aucune ne m'a vraiment fait sentir chose. Aucun contact, aucune odeur, aucun gestes qui aient pu me faire oublier de respirer.

Anastasia c'était presque ça : j'avais bien cette pelleteuse qui me broyait l'estomac lorsqu'elle s'approchait trop près de moi, conduisant cette sueur froide si reconnaissable. Mais il y avait, il persistait, toujours ce gêne qui dressait entre nous la barrière de notre impasse amoureuse. Trop de reproches, trop d'antécédents, notre histoire était passé obsolète avant même qu'elle n'ait commencé.

Nos regards se croisent. Elle imagine les mêmes choses que moi. Comme une mauvaise comédie romantique elle s'interroge, toutes ces incohérences, pourquoi diable cela ne marcherait-il pas ? Il lui suffirait de lâcher Syl, m'avouer ses sentiments, effacer le passé... De mon côté, tout serait ok. Mais au fond, je sais. Je sais pourquoi je me braque et m'entrave lors de nos baisers volés. Regardez : là, maintenant, l'embrasser serait si simple...

Durant toute la compétition je ne pense qu'à ça. Quand j'enfile mon maillot, quand je plonge, quand je glisse, quand je gagne, enfin. Lorsque je sors, que la pluie bat son plein, qu'elle assombrit mes vêtements. Tandis que les dents trop blanches de mes amis me sourient, qu'ils éclaboussent leurs baskets trop neuves, qu'ils rigolent trop fort. Entre une félicitation mielleuse et un compliment moelleux, les risettes de Mace.

Et puis quand je me détache de la cohue à 18 heures, un samedi soir, vers le Shakscafè.

p.22

stratosphère.Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon