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+L+ 
Faire abstraction

Sadan m'emmena à travers la forêt, la même forêt où nous nous étions cachés toute une nuit, frigorifiés et terrorisés. Cette même forêt que j'aurais souhaité fuir, comme l'ensemble de la vallée d'ailleurs. Mais pourtant il fallait la traverser, encore et encore, pour chasser, pour pêcher, trouver de quoi manger. Cette horrible vallée il nous fallait nous l'approprier pour survivre. Mais comment s'approprier une vallée qui appartient à un village enragés qui souhaite notre mort - plus précisément celle de notre compagnon d'infortune ?

-La marche est un peu longue mais tu vas voir, la crique est magnifique ! s'extasia-t-il.

-C'est si loin que ça ? m'enquis-je, déjà toute courbaturée.

-Pas tant que ça, il y a d'autres chemins plus courts, mais tant qu'on ne sait pas par où ils comptent passer pour me trouver, on prendra cette voie-là qui est la plus sûre.

C'était une des rares fois où je pouvais entrevoir un début de sourire se dessiner sur son visage. Apparement cette crique le mettait de bonne humeur, sûrement parce qu'il nous savait en sécurité là-bas. J'imaginais également une autre raison plus personnelle, mais je n'osais pas lui poser la question. Il était plus agréable et plus détendu, c'était l'essentiel.

Le chemin que nous empruntions se divisa en deux, nous prîmes la ramure de gauche.

-En prenant la voie de droit on arrive directement au centre du village, m'expliqua-t-il avant que je ne pose la question.

Plus nous avancions et plus je sentais de l'eau sous mes pieds. Était-ce un bon signe ? Je n'en savais trop rien, ce genre de terrain à moitié inondé amenait plus à des marais. Je ne dis aucune remarque et continuai de suivre Sadan. Le seul bruit qui résonnait était le « floc floc » que faisaient nos chaussure sur l'herbe détrempée.

-On doit encore pouvoir passer par ici sans finir pleins de boue, me dit-il. Mais je dois t'avouer que je passe rarement par là et je n'ai aucune idée de ce qu'on va y trouver.

-C'est pas vraiment rassurant.

-C'est ça où tu crèves de faim ! cracha-t-il.

Il se remit en marche en soupirant, je le suivis d'un peu plus loin cette fois-ci. Il m'agaçait sérieusement quand il prenait ce ton condescendant, me parlant comme à la dernière des idiotes.

Le « floc floc » eut tôt fait de se transformer en « plouf plouf » et en moins de cinq minutes nous fûmes recouverts de boue jusqu'à mi-mollet. Encore cinq minutes après, il devint très difficile d'avancer sans s'écraser dans la boue.

-Je pensais qu'il y avait un sentier sur le côté où on ne serait pas recouverts de boue, marmonna Sadan, pensif. Enfin bon, on va finir dans l'eau de toute façon ça nous lavera.

-Personne ne vit dans ce coin ?

-Qui viendrait vivre dans la boue ? C'est ridicule !

-Eux peut-être, dis-je en lui montrant quatre personnes qui se avançaient dans notre direction.

Il s'arrêta net, et je pus voir très clairement l'expression de son visage passer du calme à la peur. Les quatre personnes n'avaient pourtant pas l'air impressionnant, elles avaient même l'air malade. Elle avançaient d'un pas mal assuré et bringuebalant, bien qu'elles sachent très bien où elles allaient. Elles venaient difficilement à notre rencontre, tendant les bras dans notre direction et poussant des râles presque inhumains. C'est à ce moment précis que je compris que quelque chose n'était pas normal. Mais à bien y réfléchir, je me souvins que rien n'était normal dans cette vallée, pas même mon compagnon.

L'antéchrist - La vallée mauditeWhere stories live. Discover now