Chapitre 2 :

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Laure se trouvait à présent au point névralgique : les gens étaient comme possédés.
Les informations fusaient, les pigistes téléphonaient.
Un grand brun trapu s'occupait de rappeler les entreprises qui n'avaient pas réglé les encarts publicitaires parus le mois dernier. Il hurlait presque.
La scène était épique. Dans une salle au fond du couloir on lui montra un minuscule bureau, vieillot, dans lequel s'entassaient déjà trois personnes.
La première, une femme hautaine d'une cinquantaine d'années, se présenta comme Mary, correctrice.
Elle n'avait pas l'air du genre à rigoler, avec son tailleur vert strict et ses mocassins à pompon... Laure, sans jamais avoir été dans le jugement, savait déjà qu'elle ne s'en ferrait pas une amie.
La deuxième femme lui rappela sa tante - bon point pour elle - âgée d'une grosse quarantaine d'années,  la gentillesse émanait de son visage.
Elle avait quelque chose d'élégant et d'apaisant à la fois.
Elle s'appelait Lucy... Ou Jessie... L'attention de Laure avait plus été retenue par sa magnifique paire de Louboutin que par son prénom. Décidément cette maquettiste avait quelque chose en elle de femme fatale.

La troisième femme était à peine plus vieille qu'elle, et surtout à peine plus à l'aise dans ce bureau. Elle s'appelait Bridget, et avait des cheveux de jais coupés au carré ainsi que de grandes lunettes en écaille qui n'atténuaient en rien sa beauté enfantine.
Ses yeux de merlans frits attirèrent tout de suite la sympathie de Laure. Bridget occupait le même poste qu'elle, aussi le rédacteur en chef leur proposa de partager le même bureau.

- Attention, les prévient-il, plus vous traitez de sujets, plus vous vous rendez indispensables. Vous écrivez le matin, l'après-midi et le soir sont faits pour vous rendre aux divers événements. Vous êtes défrayées à hauteur de cent cinquante euros par semaine sur justificatif. Jusqu'à nouvel ordre ces règles sont non négociables. J'attends vos premiers articles demain à 13h sur mon bureau.
Sur ce, il tourna les talons.

Laure n'avait effectué que quelques stages dans le milieu de l'événementiel.
Son carnet d'adresses  était relativement pauvre, et le chef de rédaction venait de lui signifier de son style lapidaire qu'il était hors de question qu'elle exige de lui ne serait-ce qu'un conseil.

Bridget se tourna vers elle en prenant une voix nasillarde qui se voulait être celle du patron et chuchota discrètement :
- Des filles qui veulent votre place, j'en ai une liste d'attente longue comme le bras, demain c'est une autre paire de fesses qui sera assise à votre place si vous ne vous dépassez pas.
- Il t'a vraiment dit ça?
- Environ quarante secondes après mon arrivée, hier. Je tenais juste à préciser que je suis meilleure journaliste qu'imitatrice...
Les deux filles pouffèrent, s'attirant les foudres de Mary.

- Si je comprends bien, reprit Laure à voix basse, nous avons la matinée pour trouver ce que nous allons faire cet après-midi.
- C'est exactement ça. J'ai pris le temps de lister quelques événements, mais je n'ai mes entrées nulle part. Dis-moi que tu es la fille d'un régisseur... Ou quelque chose de ce genre?
- Désolée, mais on va devoir se débrouiller seules sur ce coup-là.

Après avoir jeté un coup d'œil à la liste de Bridget, Laure poussa un long soupir :
les deux premiers événements coutaient à eux deux trois semaines de budget.
Il fallait aller au moins cher, et donc au moins percutant.
Les deux jeunes femmes cherchèrent les événements les moins onéreux à venir.

Kermesses, associatif, expositions, portes ouvertes... Leurs articles seraient inévitablement criants sur leur statut d'anciennes étudiantes.

Une heure et demie après leur arrivée, les deux femmes arrivèrent à une liste pour l'après-midi et le soir même : pour Laure, ce serait un marché d'artisans venus des quatre coins du monde puis une exposition très controversée sur les manchots dans la soirée.
Pour Bridget, la présentation d'un ouvrage suivi d'une dédicace de l'auteur. La jeune femme connaissait bien l'écrivain et aurait matière à broder le temps d'un article.
Elle filerait ensuite au cinéma où était projeté le nouveau film de Tarentino, dont elle était une grande fan.

Elles prévirent de se retrouver pour manger un bout vers 22h, afin de se donner des conseils dans l'écriture de leurs articles mutuels, histoire d'avoir une trame pour le lendemain.
Quelques minutes avant de partir en pause déjeuner, Laure se rendit aux toilettes. C'était occupé. Elle patienta quelques secondes avant de voir une magnifique paire d'escarpins noirs à semelle rouge sortir.

- Il est un peu dur au départ, mais c'est uniquement pour déceler le meilleur de chacune d'entre vous.
- C'est très gentil... Ça fait longtemps que vous êtes ici?
- Bientôt treize ans.
- Vous avez commencé à ce poste?
- Pas très exactement...
Sentant le malaise, Laure se rabattit sur un sujet plus futile :

- Ce sont... de vraies? intima-t-elle à sa nouvelle collègue en fixant ses chaussures.
- Tu les as remarquée dès les premières secondes, pas vrai?
- Excusez-moi je ne voulais pas paraître impolie, c'est juste que je rêve d'en avoir un jour une paire, et que c'est la première fois que j'en vois en dehors d'une vitrine.
En prononçant cette phrase, Laure prit conscience d'apparaitre très enfantine. Pourtant, Lucy - car tel était son nom - se fendit d'un large sourire en lui répondant :
- J'ai l'impression de me revoir au même âge... Travaille dur, tu verras, ton rêve deviendra vite accessible.

Il était 17h lorsque Laure finit son tour de marché international. Elle avait de quoi écrire un article, mais quel article... Rien de comparable avec ce dont elle était capable sur des sujets bouillonnants.

La jeune femme, perdue dans ses pensées longeait une rue commerçante quand son regard se posa sur l'une des vitrines. C'était une friperie qui exposait ses meilleurs modèles, mais ce qui attira  son attention, c'est une robe de soirée à faire tourner n' importe quelle tête : l'étoffe semblait épaisse et pourtant le tombé en était parfaitement fluide.

Elle semblait très sobre tout en arborant un magnifique dos nu. Le parfait équilibre entre élégance et glamour...

Le goût du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant