"Écrire ses maux"

143 23 3
                                    

Le genou écorché d'un enfant après une chute de vélo... Une plaie sanglante au bras droit sur un champ de bataille... Une insulte cinglante qu'on vous jette au visage...

Chaque blessure laisse inévitablement des traces sur notre peau ou des entailles dans notre cœur. Mais il existe une manière d'apaiser la douleur, de cicatriser en apparence la lésion : celle de mettre des mots sur ce sang ou sur ces larmes. Écrire permet de se libérer du poids des sentiments en les confiant à une feuille de papier... Écrire, c'est partager la tristesse, la rancœur, la colère avec une personne réelle ou imaginaire. Se libérer des pensées trop douloureuses pour être formulées à haute voix. On se force ainsi à accepter la réalité, à regarder dans les yeux nos pires démons, et souvent, ils nous en paraissent moins effrayants. Comme un enfant qui allume la lumière et se rend compte que son armoire ressemble moins à un monstre qu'il n'y paraît dans l'obscurité...
Pour Linda, 89 ans, les blessures, ce sont les images d'horreur qu'elle revoit en cauchemar, comme celle de l'uniforme rayé d'Auschwitz qu'elle portait. C'est aussi la marque sur son poignet, celle de son numéro, le 2807, tatoué au fer brûlant. Lorsque Linda écrit sur elle, c'est pour la mémoire de ceux qui n'en sont pas sortis vivants. Pour apaiser la souffrance de ces souvenirs monstrueux, pour se convaincre qu'elle est encore là, elle, pour dénoncer ce qui se passait loin des regards, à l'intérieur des barbelés. Mais il est évident que l'écriture ne pourra jamais effacer les blessures de Linda. Ni les insultes des officiers allemands, ni les expériences qu'elle a du subir pour eux, pas plus que les cris et les pleurs des enfants qui résonnent encore à ses oreilles. Non seulement écrire sur soi ne permet pas de changer le passé, mais il ne s'agit en plus que d'un pâle reflet de la réalité. Linda ne trouvera jamais de mots pour décrire les horreurs qu'elle a pu voir alors qu'elle n'avait que six ans. Tout simplement parce qu'il n'existe pas de mots assez horribles.
De plus, l'écriture, comme l'eau salée sur la plaie, commence souvent par raviver la blessure. Avant que les souvenirs ne soient estompés, il faut d'abord les invoquer, se forcer à les revivre, pour avoir une chance d'entamer la guérison. Dans le cas de Linda, il lui faut réentendre les cris, revoir les images, reverser des larmes à chaque seconde où elle tient son stylo.Finalement, écrire sur soi peut permettre d'apaiser les blessures, mais jamais d'empêcher qu'il ne reste des cicatrices. Bien que le temps et l'amour, eux, auront sûrement le pouvoir de rendre ces cicatrices presque invisibles...
Invisibles ? Oui. Inexistantes ? Non...

Ces maux qu'on ne dit pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant