Le frère du professeur

XV

Au champ d'oiseau, je me réveille pour la première fois depuis longtemps, dans ma maison. Même si Loid ne devait pas rentrer si tôt, il a abrégé sa mission pour être présent au mariage de son meilleur ami. Et hier, il ne m'a pas prévenu car il voulait me faire la surprise. Ce qui s'est plutôt mal passée. Mon discours sur notre attirance réciproque n'a rien arrangé, comme Jane l'avait prévu. Et l'arrivée de la coiffeuse dans la soirée a permis aux choses de s'arranger vite fait et mes affaires sont toujours chez eux. Loid et moi ne nous adressons pas la parole depuis hier soir et encore ce matin, en route pour l'église, je n'ai nulle envie de  lui adresser la parole. Pas à cause des disputes mais surtout parce que sa face choquée, me voyant dans cet état me hante l'esprit.  Qu'est-ce que je l'ai déçu, mon frère. Lui qui pensait passer un super week-end. Moi aussi d'ailleurs. Au moins maintenant nous n'aurons plus à nous cacher, maintenant même si nous ne pourrons plus nous parler également. Nous atterrissons devant l'église et un Anthony plutôt stressé se dirige vers nous en courant.
- Zoé ! Interpella-t-il essouflé. Zoé, il faut que tu nous joues quelque chose pour la marche nuptiale.
Traumatisés par ce genre de requête, Loid et moi nous figeons sans répondre. Puis, je lui jette un coup d'œil et je sais qu'il s'en veut ; qu'il s'en veut énormément de beaucoup de choses. Puis, je me tourne vers Anthony, impatient. Et je lui dis :
- C'est OK. Donne moi quelques minutes.
Puis Anthony partit voir d'autres personnes.
- Mais Zoé, tu vas le faire ? Me questionne-t-il soucieux. Tu peux toujours me demander de le faire à ta place, Zoé, ce n'est pas parce qu'on est fâché que...
Je lui coupe la parole.
- Je vais le faire et je vais le réussir, le rassurai-je.
Il me prend dans ses bras.
- Tu es un très bon frère Loid, lui dis-je en quittant son épaule, et en essuyant la petite larme qui coule.
Je m'en vais chercher Anthony et lui demande :
- Mais quel morceau dois-je jouer ? lui dis-je pleine d'inquiétude mais déterminée.
- N'importe laquelle ! Répondit-il. Je veux juste que ce soit toi qui le fasse... Jane et moi nous voulons que ce soit toi qui le fasse.
- D'accord.
Je marche dans l'allée et vois une voiture qui arrive. Je n'arrive pas à croire ce que je vois. C'est tout simplement vexant, qu'Alex arrive avec ... Lilas ! C'est la pire trahison de ma vie, ça. Comment peut-il me faire ça ? Je croyais pourtant que c'était terminé. Mais il lui a même ouvert la portière. Je sens mes oreilles rougir et mon cerveau rugir. Du fin fond de son soudain esprit galant, Alex se retourne et croise mon regard. Et comme s'il s'excusait, me faisait un petit signe en tendant les deux bras, sur une moue déçue.
De toute façon, Alex a déjà essayé deux fois avec moi et ça n'a jamais marché, alors je suppose qu'il a fait son choix. Je devrais me réjouir qu'il tourne la page aussi vite. Néanmoins, je n'ai vraiment pas l'esprit à fêter.

Toutes choses étant prêtes, je me place devant l'instrument, me trouvant sur la petite mezzanine de l'église. Je souffle un bon coup, pour ma première vraie représentation publique. C'est vrai que personne ne me regarde, mais ils m'entendent et c'est ce qui m'importe le plus. Alors je décide de surprendre Anthony, en jouant le seul morceau que j'ai appris toute seule "Bella's lullaby". Je place mes doigts, me souvenant parfaitement du bon doigté de départ, et tout flotte comme l'eau. J'aperçois Loid, à sa place qui regarde en la direction de la mezzanine à laquelle je me trouve. Je sais qu'il ne me vois pas, mais il semble fier et ému. Et cela suffit à m'encourager davantage.
Mais qu'est-ce que ce morceau me rappelle Alex. Je me souviens qu'à chaque fois que je m'y entrainais, même au tout début, lorsque je déchiffrais encore, il était là. Il ne disait rien, mais il était là. Mes larmes coulent et je les laisse faire. Nous avons tellement vécu, lui et moi, en l'espace d'un mois. Et je peux dire, aujourd'hui, qu'effectivement il m'a brisée le cœur, rien qu'en la choisissant, elle, finalement. Mais qu'est-ce que je suis égoïste ! Peu importe. J'aperçois que la mariée et son père arrive devant l'autel et je termine, tant bien que mal. La personne qui jouera les cantiques après moi, se trouve déjà derrière et je ferais mieux d'aller rejoindre ma place.
- Tu l'as perfectionné à merveille, applaudit celui qui se trouve derrière moi.
Il s'agit d'Alex. Il a les yeux cristallisés et il est heureux de me voir, dans son beau costume sombre. Qu'est-ce qu'il m'a manqué depuis hier !
Je lui saute dans le cou et et le vrai claviériste pour les cantiques arriva enfin, voulant regagner sa place. Nous le laissons passer et continuons nos accolades et nos embrassades.
- Qu'est-ce que tu m'as manqué, en l'espace de quelques heures ! me sort-il en enfouyant sa tête sur le creux de mon épaule.
- Mais alors, qu'est-ce qu'elle fait là... Lilas, le questionnai-je.
Il prit soudain un air désolé et confus. Et qu'est-ce que je lui en veux, à présent !
- Je vais la rejoindre, me dit-il. Nous en reparlerons.
Je prends ça comme un réel coup de poignard dans le cœur. Mais je suis indisponible, je génère trop de problème, et lui, eh bien lui, il a juste le droit de laisser tomber.

Le reste de la journée se passe plutôt bien pour chacun de nous.
Loid et moi sommes assis à la même table qu'Alex et Lilas et je crois bien qu'elle est au courant de quelque chose maintenant, vu la façon dont elle me regarde.

Plus tard dans la soirée, nous rentrons chez nous, sans que je n'ai eu le temps de discuter avec Alex. Loid qui a l'air d'oublier tout ce qu'il s'était passé hier après ma performance au "Bella's lullaby" semble joyeux et festif. Et moi, eh bien moi, je fais tout simplement semblant de sourire.
- Demain Alex viendra te chercher me dit-il après un long trajet silencieux. Il t'aidera à ramener tes affaires à la maison.
Puis sans aucune réponse de ma part - car je suis trop affolée à l'intérieur de moi - il ajoute :
- C'est ce que lui et moi avons convenu, tout à l'heure avant que nous rentrions.