II

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L'idée m'avait enchantée. C'était, certes, ce que j'espérais. Il prit un tabouret à l'autre bout de la pièce et se mit près de moi qui était restée sur la banquette piano. Et comme je ne perds pas de temps, je le laisse surprendre mon regard traînant sur lui tout en feignant la confusion. Je me dis toujours que cette technique-là marche à tous les coups mais lorsque j'en recense les résultats, je n'arrive pas à intercepter grand chose. En seize ans d'existence, je n'ai eu qu'un seul vrai petit ami, et ce ne fut pas grâce à cette technique que je l'ai choppé. En tout cas, celui d'aujourd'hui semble plutôt réceptif par rapport à mon charme, et faire des yeux doux de mauvais garçon le réussit bien. Il prend des initiatives, j'aime ça. Ce qui est génial, c'est que pour une fois, quelqu'un ne me demande pas de lui jouer quelque chose. Et je le prend comme un grand signe de respect.

- Alors, faudrait bien faire la conversation, me sortit-il au bout d'un moment. Quels sont tes goûts en musique, généralement ?

Et oups. Je me demande si je dois lui faire part de l'idée étrange que j'aime le country ou trouver quelque chose qui ne le freinerait pas à mi-chemin.

- Je... (j'aime un peu de tout ? Non trop débile, c'est la réponse que donnerait une non-connaisseuse et ça peu donner l'illusion que je n'ai pas envie de converser)
- J'aime bien le jazz, le jazz and blues, c'est sympa. Et toi ?
- Ça... et un peu de tout.

Super ! C'est exactement la réponse à laquelle je m'attendais. Peu importe ! il joue le mystérieux, c'est bien d'être mystérieux ; les filles aiment ça. J'aime ça.

- Alors, euh... qu'est-ce que tu me proposes pour passer le temps ? Me demande-t-il encore.

Je fis un léger focus sur ses lèvres et aurait proposé qu'on se roule un palot, mais je tiens à garder ma dignité.

- Je... j'aime bien chanter, lui répondis-je avec un petit sourire innocent, si tu veux m'accompagner.

Tout en disant cela je me lève de la banquette tout en lui faisant signe de prendre place.
Eh bien ! Je n'aurais jamais imaginé faire ça, un jour. Mais là, je suis carrément en train d'affliger mon pire cauchemar à quelqu'un d'autre. Et je me rends compte à quel point c'est facile d'inviter une personne à jouer, sans son approbation lorsqu'on a acquis la terrible idée reçue que "si son frère enseigne le piano, il devrait sûrement s'y connaître lui aussi". Comme je suis mauvaise, finalement.

- Ah, ça ! Désolé je suis vraiment nul au piano. C'est peut-être incroyable mais c'est vrai, Me sortit-il tout en se levant afin d'échanger de siège avec moi étant donné que je suis restée debout dans une allure qui mettait quand même la pression.

Je me rassis, stupéfaite. Eh bien, ça alors ! Pourquoi ? Comment ? Sans aucun complexe, cet homme est tout simplement en train de me dire qu'il ne sait pas jouer. Cela sonnait bien naturel, en tout cas. Ma foi, si à partir d'aujourd'hui je le dis comme lui l'avait fait il y a quelques secondes, cela choquerait peut-être du monde, mais m'éviterait de me mettre la honte.

- Et sinon, t'as des films à voir ? Lui proposais-je.
- Euh... certainement, me répondit-il, l'expression neutre. Mais il faudrait qu'on se mette près d'une prise, étant donné que mon PC ne fonctionne que branché.

Puis il se leva et sortit le chercher.
Pendant ce temps, je parcourai la pièce des yeux à la recherche d'une prise électrique. Et au moment où j'en aperçut un, près du canapé rouge à deux places, il rentra lui aussi dans la pièce, vêtu d'un tee-shirt. Bon, il faut savoir être déçue. Mais ce n'est pas très grave. Il se dirige vers le canapé et me fait signe de le rejoindre. Je m'applique sans me faire supplier et m'aperçois à quel point ce truc est confortable, malgré son étroitesse. Le mec sent légèrement bon, une odeur virile, naturelle, peut-être un déodorant déjà  estompé par les heures défilant de la journée, ou un après-rasage classique qu'il a spécialement choisi pour l'expression agréable de sa senteur. Encore ravie, de n'avoir entrevu aucune photo de fille sur les multiples icônes de son bureau, je fait mine de détourner mon regard dans la pièce le temps qu'il parcours ses dossiers, à la recherche d'un bon film à regarder avec moi, l'inconnue.
Puis, il me demande de choisir, comme ça, dans sa longue liste, ce qui pourrait bien me plaire.
Je m'approche un tout petit peu, rien qu'un tout petit peu de son épaule pour mieux centrer l'écran. Il défile et je vois... apocalypse, aventure, action, horreur, mon dieu ! Les goûts de ce garçon ! Cet homme, pardon. Ah tiens ! Fifty shades of Grey, dont tout le monde parle au lycée, et que moi je n'ai jamais vu. C'est l'occasion ou jamais. Et après ce soir je ne ferais plus semblant de m'y connaitre, puisque je l'aurais vu. Une frustration en moins, pourquoi pas.

- Là ! Ce... celui-là, lui dis-je, tout en pointant l'icône du doigt sans toucher l'écran.
- Tu veux dire... The Fifty shades ?

Il m'adresse un regard déconcerté mais mon esprit bloque cinq secondes plutôt vers l'accent qu'il a utilisé en répétant le titre du film, ça faisait plutôt sexy.

- Oui, acquiesçais-je. Celui-là.

Il m'a l'air plutôt gêné. Peut-être parce que je m'approche un peu trop de lui ? Non, je me fais des idées.

Les minutes passèrent et le film est bien passionnant. Ana... petite innocente, Christian... plus âgé, pas plus beau gosse que celui qui se trouve près de moi mais avec un charme plutôt incontesta... PAUSE ! QUOI C'EST UN FILM ÉROTIQUE ? Je comprends mieux... pourquoi il semblait gêné le mec au début. Eh bien ! Ma dignité a pris un coup de hache. Et bim tout est noir autour de nous.

- Eh pas de chance, coupure de courant ! S'exclama-t-il sans que je ne l'entende bouger.

Il ne nous reste plus qu'à nous rouler une pelle. Après le film que j'avais choisi, je ne risque plus aucune humiliation, je présume.

Le frère du professeurDove le storie prendono vita. Scoprilo ora