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Demetrio marchait devant, la tête levée vers le ciel sans étoile. Son long manteau noir claquait contre ses jambes à chacun de ses pas. L'air pensif, il jouait avec la petite perle verte qu'il avait prise à Imm, la faisant rouler entre son pouce et son index. A ses cotés, Maydée songeait à ce qui allait l'attendre à présent. Elle n'osait pas confier ses craintes à l'âme noire, qui semblait prise par ses propres ennuis. 

Le silence de la ville était aussi froid que macabre. La jeune fille commençait à être envahie par l'inquiétude, car les rues qu'ils empruntaient étaient aussi désertes qu'étroites. Elle craignait que l'obscurité les noie tant elle semblait profonde. Elle croyait voir des ombres surgir de chaque renfoncement, comme si elles la traquaient, comme si elles cherchaient à éteindre la vie qui l'habitait encore.


–  On est bientôt arrivés.


La voix de Demetrio la sortit de son cauchemar et, instinctivement, elle se rapprocha légèrement de lui. Le haut-de-forme toujours enfoncé sur le crâne, elle avait l'impression qu'il la protégeait des dangers, prêts à se jeter sur elle. Déglutissant avec difficulté, elle osa enfin lui poser une question. Elle avait appris à endiguer le flot d'incompréhension qui la submergeait et à se limiter aux éléments les plus importants, mais aussi les plus formels. Elle avait retenu la leçon de Naeana.


–  Où est-ce que l'on va ?

–  Eh bien, j'aurais aimé t'emmener chez moi, mais à cause de quelques débordements avec mon patron, je n'ai plus de « chez moi ».


Le jeune homme passa une main dans ses cheveux couleur charbon, gêné.


–  Je suis obligé de loger dans les cabines de l'usine, donc c'est là-bas que je t'emmène.

–  L'usine ? Celle de ...

–  Moria. Cette pourriture m'a pris tout ce que j'avais ! cracha-t-il avec mépris. Bon, il faut dire aussi que je n'avais pas grand chose, mais quand même !


Maydée retint le rire aussi nerveux qu'amusé qui manqua de lui échapper, réchauffant doucement son ventre. Elle aimait l'écouter parler. Il avait quelque chose dans la voix qui vibrait, comme une vieille douleur qu'il tentait d'effacer sous des mots aussi légers que désintéressés. La jeune fille avait l'impression de lire une vérité bien plus sombre dans le grain de son timbre, qu'elle seule pouvait connaître, qu'il lui laissait avec regret. Peut-être était-ce ainsi qu'elle leur rendrait un peu de vie ? Peut-être était-ce ça une « âme déchue », une personne capable de comprendre les pires douleurs, de les avaler, de les effacer ?


–  Ce n'est pas un peu dangereux ? demanda-t-elle alors.

–  Oui, c'est dangereux. Tout est dangereux ici, comme tout était dangereux là-bas ! Et puis, c'est pas comme si on avait le choix.  


Maydée lui lança un regard stupéfait. Comment faisait-il pour être sûr de lui, alors qu'il n'avait aucun pouvoir sur sa propre vie ? Immédiatement, la jeune fille perdit son enthousiasme. Elle n'était plus du tout sûre de vouloir fuir. Cependant, l'idée même de retrouver ses souvenirs la terrifiait bien plus que l'univers des âmes noires. Demetrio dut voir l'expression incertaine qui marquait ses traits, car il passa son bras autour de ses épaules, dans un élan de franche camaraderie.


–  Ne t'en fais pas, ça va être un jeu d'enfant ! Moria n'est jamais sur place et ses chiens de gardes sont aussi sourds qu'aveugles ! En plus, tu as de la chance, tu as des cheveux noirs, tu te fondras parfaitement dans la masse.

–  Mais si quelqu'un me remarque, il me dénoncera au maître des Souvenirs et...

–  Ça n'arriva jamais. Nous sommes peut-être des criminels, mais on est tous dans le même bateau, on ne peut que s'entraider.


Post Mortem - Tome I [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant