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L'ascenseur grinçait sous le poids de ses passagers. Les grosses chaînes de métal rouillé tiraient en un cri rutilant l'étroite cabine dans laquelle Clive et Maydée s'étaient serrés.

L'Otopsi, conforme à sa nature, avait le regard pointé devant lui, neutre, le corps raide, droit, indifférent au tumulte mécanique de la machine.

Maydée, quant à elle, se sentait oppressée. Les nerfs à vif, elle s'était recroquevillée sur elle-même, surveillant avec une attention craintive son épaule, pour qu'elle ne touche pas celle du jeune homme. Elle était mal à l'aise. Contrairement à Imm qui l'apaisait et lui inspirait une confiance un peu trop naïve, quelque chose d'étrange émanait de l'Otopsi, une sorte d'aura étouffante qui torturait l'esprit de Maydée. Le ventre noué par l'angoisse, la jeune fille jetait des coups d'œil furtifs vers son compagnon, toujours impartial.

Il y avait dans sa prestance, sur les traits invisibles de son visage, de la courbe de ses boucles noires jusqu'à la pointe de son nez, une ombre, si sombre, qui plainait autour de lui. Maydée n'appréciait pas sa compagnie et le temps commençait à s'allonger étrangement. Prise de claustrophobie, la jeune fille croyait voir les murs grillagés de la cabine se rapprocher avec une lenteur effroyable, la pousser sans remords contre l'Otopsi. Une panique brûlante monta en elle. Maydée essaya de contenir cette peur, de la refouler au fond d'elle-même. Il ne fallait pas qu'elle donne l'impression de n'être qu'une petite chose, faible et fragile. Elle ne le voulait pas.

Fronçant les sourcils, elle prit une grande inspiration, et se répéta plusieurs fois que ce cauchemar allait bientôt prendre fin. Discrètement, le cœur secoué par la crainte, elle leva les yeux vers Clive. Elle manqua de pousser un cri de surprise lorsqu'elle croisa son regard.

Le visage toujours aussi dénué d'expression, il s'était tourné vers elle, sa lourde mèche légèrement déplacée laissait entrevoir son deuxième œil.

Rouge.

Il était rouge. La couleur du feu, et celle du sang. Maydée eut un mouvement de recul, son dos percutant violemment les parois grillagées. Le regard plongé dans cette iris flamboyante, un sentiment d'oppression la saisit, lui coupant brutalement le souffle. Les deux prunelles de Clive se confondirent soudain dans l'esprit embrumé de la jeune fille. Luttant l'une contre l'autre, toutes deux aussi profondes que des abîmes, aussi pénétrantes que la lame d'une épée, les deux couleurs s'opposèrent en un effroyable mélange. Et alors que le noir, couleur du rien et celle de la nuit, se fondait dans le vermeille d'un soleil mourant, plongeant dans une mer de sang, Maydée entendit quelqu'un appeler. Entre les ténèbres et la lumière du feu, une voix hurlait quelque chose, comme un cri d'amour.


« Tu avais promis de m'attendre. »


L'appel se tut brusquement. La jeune fille ferma les yeux. Le noir et rouge disparurent en un éclair fracassant. Une main se posa sur son bras. Maydée papillonna des paupières pour lever son visage blafard vers l'Otopsi 

Collée contre le grillage de l'ascenseur, la jeune fille sentit les tremblements quitter son corps. Le poing fermement serré autour de son épaule, Clive la regardait, un voile d'inquiétude marquant profondément les traits de son visage. Ses yeux avaient perdu leur éclat, mais le rouge et le noir se confondaient toujours dans son regard, faisant frissonner Maydée qui se redressa rapidement, gênée.


–  Est-ce que tout va bien ? demanda Clive d'une voix ébréchée.

–  Oui. Enfin, je crois.


La jeune fille ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Était-ce un souvenir ? Se frottant les yeux pour chasser la brume qui avait envahi sa vision, elle se sentait étrangement calme. La main de Clive, toujours accrochée à son bras, lui paraissait soudainement douce, porteuse d'une chaleur qu'on ne trouvait plus en ce monde qui régissait, après la mort. Le cri déchiré qu'elle avait entendu résonnait encore dans sa tête.

Post Mortem - Tome I [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant