Post Mortem - Tome I [TERMINÉ]

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Le restaurant était vide. Assise sur un tabouret, derrière le comptoir, Maydée réfléchissait vivement. À sa droite, Imm préparait une boisson que personne ne dégusterait. Naeana venait de partir. Après avoir chamboulé l'esprit de Maydée, elle s'était volatilisée en un éclair, disparaissant dans les ruelles sombres de l'étrange district. Sans doute allait-elle reprendre le vieux métro pour retourner au palais.

Elle était étrange, Naeana. Elle était apparue comme dans un rêve au milieu du grand jardin, avait guidé la jeune fille, sans un mot, dans ce monde qu'elle ne semblait plus voir. Puis elle était repartie, les mains enfoncées dans les grandes poches de sa salopette lui adressant un regard fade comme signe d'au revoir.

Immobile à côté du serveur, Maydée repassait en boucle dans sa tête les informations que Naeana lui avait si rapidement données, comme si les répéter l'aiderait à distinguer le vrai du faux. Mais elle n'y arrivait pas, elle ne comprenait pas. La mort était, pour toute l'espèce humaine, un sommeil éternel dont on ne se réveillait jamais, un paradis où des anges dévêtus volaient dans le vent, une grotte sombre de laquelle on ne ressortait jamais... Cependant, rien dans ces hypothèses et ces fantasmes ne décrivait ce qu'elle était en train de vivre. Le paradis avait des allures de ville désaffectée et la grotte sombre était remplacée par un ciel aux étoiles éteintes.

Le regard perdu dans le vague, Maydée tentait de se persuader qu'elle rêvait, mais plus rien ne pouvait se confondre avec le simple songe d'une morte, tout était vrai. Trop vrai à son goût. La jeune fille fit une grimace. 

Debout à côté d'elle, Imm remplissait deux verres d'une boisson orangée aux odeurs acres de café. Ils savaient bien tous les deux que, ni elle, ni lui, ne les videraient.

Maydée sentit alors le regard du serveur posé sur elle, et pâlit un peu plus. Le silence devenait pesant malgré l'atmosphère accueillante du lieu. Maydée se mordit la lèvre avant de se décida à briser son ignorance. Elle devait parler pour comprendre, pour cesser d'être rongée par l'envie de fuir, de chercher le mensonge, de se perdre dans un songe qui n'en était pas un. 

–  Imm ?

–  Oui.  

–  Dis-moi, qu'est-ce qu'on attend ?

La jeune fille osait à peine lever les yeux vers lui, honteuse de lui demander quelque chose qu'il devait trouver évident. Il resta de longues minutes immobile, réfléchissant avant d'expliquer d'une voix calme et indifférente, la faisant sursauter. 

–  Nous attendons les souvenirs.

En entendant sa réponse, elle manqua de tomber de son tabouret. Visiblement, le jeune homme était quelqu'un de surprenant. 

–  Les souvenirs ?

–  L'usine des souvenirs doit ... 

Il se tut si brutalement qu'elle crut qu'il s'était étouffé. Inquiète, Maydée pencha la tête vers lui, elle voulait plus d'indication, mais ce qu'elle vit lui glaça le sang. Les yeux brumeux mi-gris, mi-noir, d'Imm s'étaient vidés. Son iris était d'un blanc translucide. Ses paupières étaient écarquillées. À l'intérieur de ses prunelles dénuées de couleurs, ses pupilles s'agitaient, grossissant et rapetissant avec vivacité. Dans son cou, ses veines se mirent à gonfler étrangement, prenant des teintes violacées, colorant sa peau habituellement si blanche d'un gris malade. Son visage affichait toujours cet air neutre mais dans son regard régnait le chaos.

Maydée se leva si brutalement que le tabouret s'envola et partit rouler quelques mètres plus loin, derrière le comptoir. Ses mains s'accrochèrent aux manches du jeune homme et elle se mit à le secouer violemment. Son cœur battait à tout rompre. Jamais elle n'avait vu une telle chose, et ses nerfs à vifs ne supportaient plus l'étrangeté de cet endroit. Ne pas savoir si elle était morte ou encore en vie, si elle était morte dans la vie, ou vivante dans la mort, la détruisait peu à peu.

Elle s'apprêtait à hurler son prénom quand soudain, ses yeux se remplirent de nouveau de nuages gris, des taches noires peignirent ses iris tandis que leur éclat brumeux réapparut lentement. Maydée sentit son cœur chuter au fond de sa poitrine quand son regard calme se posa sur elle, une touche d'étonnement flottant à la surface.

Il était revenu. Il était revenu à elle. Sans vraiment savoir pourquoi, le voir si loin, être seule dans ce monde étrange, la rendait folle. Elle lâcha doucement les manches de sa chemise qu'elle avait froissées entre ses doigts. 

–  C'était quoi ... murmura-t-elle en lui jetant une œillade affolée, encore troublée par l'angoisse.

–  Les souvenirs.