Post Mortem - Tome I [TERMINÉ]

3

Elle était étendue sur un grand lit. Ses cheveux, éparpillés autour de son visage, ressemblaient aux pétales fanés d'une fleur d'automne.  Paisible, ses muscles étaient détendus, son souffle régulier. Elle vagabondait dans un rêve dont elle ne se souviendrait pas. 

Debout autour de son corps inerte, ils l'observaient, impassibles. C'était la première fois qu'une telle chose arrivait. La première fois qu'un être humain savait qu'il était mort. Réunis autour de la jeune fille, les quatre Otopsi présents dans le palais Thanatos se concertaient à voix basse. Qu'allaient-ils faire d'elle ? Debout près de la tête de la dormeuse, le serveur la contemplait en silence. Il l'avait ramenée ici avant que la Mère Mort ne s'en aperçoive. 

–  Eh bien, c'est rare ça. 

Le jeune homme releva la tête. Les autres contemplaient avec un mélange de lassitude et d'inquiètude la silhouette de l'anomalie. Son regard parcourut tous ces visages crispés, avant de se poser sur celui à qui appartenait la voix aiguë au timbre fort qui avait parlé.

–  Je n'ai pas pu entrer dans son esprit pour commencer à la guider, l'informa le serveur.

La jeune femme, dont les cheveux pâles étaient relevés en un chignon un peu trop haut et trop fragile, hocha la tête. Le menton dans la paume, son mouvement manqua de faire dégringoler sa maladroite coiffure. 

– Ça doit être une erreur de l'usine des souvenirs.

Il lui lança un regard morne. Celle-ci, posant ses poings sur les hanches, déclara avec un mélange d'autorité et d'habitude :

–  Je m'occupe de son cas.

 –  Tu t'en « occupes » ? demanda le jeune homme en se tournant complètement vers elle.

Sur son visage, une étrange expression se dessina, comme s'il avait été capable, ne serait-ce qu'une seule seconde, de ressentir quelque chose. La jeune fille n'y fit pas attention et lui répondit, levant un peu la tête vers lui à cause de sa petite taille.

–  On va lui effacer la mémoire et essayer de rentrer en contact avec son esprit pour la guider à nouveau. Logique, non ? dit-elle en se penchant légèrement sur le côté, puis elle s'adressa à celui qui attendait patiemment derrière elle. Clive, emmène-la.   

– Entendu. 

Les deux Otopsi regardèrent Clive qui contourna le lit pour se pencher vers la dormeuse. L'attention fixée sur le visage de l'anomalie, le serveur sentit quelque chose remuer en lui, comme lorsque qu'il l'avait vue pleurer dans le restaurant. Son expression était neutre, ses yeux étaient vides, mais au fond de lui, il lui semblait qu'il ne pourrait pas la laisser comme ça. Et sans réfléchir, il dit :

–  Peux-tu me laisser la guider une nouvelle fois ?

L'autre leva les yeux vers lui, mais il ne la regardait pas. Sa tête et tout son esprit étaient tournés vers l'humaine.  

–  Pourquoi ?

Il fronça les sourcils, mais il resta de marbre. Tout en lui était désordre et confusion, pourtant, il se sentait étrangement calme au milieu de ce vacarme. 

–  Je ne peux l'expliquer.

Clive se retourna pour le dévisager d'un air absent. La jeune fille avait croisé les bras dans les bretelles de sa salopette. Elle l'observait avec un mélange de doute et de curiosité, puis elle se détourna en un élan décisif : 

–  D'accord. Mais elle va devoir rester ici pendant un moment. Elle sera sous ta responsabilité.