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Ils s'étaient installés tous les trois dans un bar, sur une table à l'écart. Éclairé par la petite lanterne qui pendait, morose, au plafond, l'âme noire dévisagea Imm, puis Maydée, avec méfiance. La jeune fille, mal à l'aise, n'osait croiser son regard de peur d'y lire de nouveau mépris et colère. L'Otopsi, quant à lui, restait immobile, le dos droit, sur sa chaise. Il semblait fébrile et Maydée eut l'impression qu'il était envahi par l'angoisse. Le silence qui s'était installé entre eux était lourd et personne ne semblait prêt à le briser. C'est Imm qui se lança le premier :


– J'ai besoin de ton aide.

– Ça, je l'avais bien compris, répliqua l'autre, cinglant. La question est : pourquoi ? 


Imm eut un petit mouvement de panique, comme s'il était en train de perdre confiance en lui. Attentive à chacun de ses gestes, Maydée commençait à croire qu'il craignait l'âme noire.


– C'est pour elle, finit-il par lâcher.


Aussitôt, le regard perçant de l'inconnu se posa sur la jeune fille. Surprise, Maydée baissa vivement la tête. Elle avait honte. Qu'allait-il penser de sa futile peur de la mort, de son égoïsme ? Lui qui avait accepté son passé, avec ses égratignures et avec ce sang qu'il avait sûrement fait couler. Lui qui devait, aujourd'hui encore, payer le prix de ses actes.


– J'en ai rien à faire de tes petites amourettes, mon grand, je...

– C'est une âme déchue, le coupa-t-il. 


Maydée sentit l'homme se pétrifiée sur place. Le poids de son regard lui tomba brusquement sur le cœur et elle crut qu'elle allait s'effondrer. Elle ne voulait pas qu'on la juge pourtant, elle avait l'audace de demander de l'aide à autrui. La jeune fille commençait à douter de la valeur de son existence. Elle aurait aimé retourner en arrière, sentir de nouveau la main de Clive contre son épaule. Elle aurait aimé qu'il la guide dans cette Salle aux Reflets  et qu'elle sache, une bonne fois pour toute, ce qu'elle était ou non capable d'accepter. Cependant, Maydée n'eut pas le temps de se perdre dans ses regrets, car la voix sèche et éraillée de l'âme noire la tira de ses pensées :


– Relève la tête.


La jeune fille resta quelques secondes inerte, figée par la brutalité de ses paroles, par le gouffre sans fin qui semblait habiter son timbre rauque. Sous la table, le talon de sa botte lui écrasa violemment le pied. Maydée se redressa, poussant un cri de douleur.

Ses yeux. Ses yeux étaient d'une beauté éphémère, destructrice. Le bleu de ses iris tourbillonnait avec une lenteur envoûtante autour de sa pupille, gigantesque trou noir dans lequel Maydée se sentit sombrer. Son regard était emprunt d'une confiance glaciale, tranchante, qui reflétait toute l'horreur dont il avait pu être capable autrefois. Cependant, la jeune fille y voyait autre chose. Tapis derrière cette fierté excessive, une intense douleur, aussi immuable qu'insupportable, empoisonnait chaque parcelle de son être. Il était soumis à ses propres peurs, esclave du mépris qu'il avait pour sa vie d'avant, pour lui-même.


– Intéressant..., souffla soudainement l'âme noire. Mais c'est non.

– Pourquoi ? s'exclama Imm se penchant légèrement en avant. 

– Je ne peux pas, c'est tout. 


L'Otopsi serra les dents, aussi accablé que frustré. Il n'avait visiblement pas l'habitude à ce qu'on lui refuse quelque chose. L'âme eut un petit rire mesquin.

Post Mortem - Tome I [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant