P R O L O G U E

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PREMIERS CHAPITRES EN EXCLUSIVITÉ DE LA VERSION D'ÉDITION


Nuit du 29 janvier 2020, Serbie


Des bourdonnements incessants emplissent mon esprit au fur et à mesure que la salle des fêtes se vide. Je bascule ma tête en arrière lorsque nous nous retrouvons enfin plongés dans le noir. Sur la piste de danse, les corps se déhanchent au rythme de la musique et se rapprochent les uns des autres, ne semblant plus faire qu'une même masse. Je profite de la faible luminosité des néons pour relâcher les traits tirés de mon visage et la posture qu'imposent les conventions d'une classe sociale élevée.

Je me tiens donc assise, droite et silencieuse, les jambes croisées sans évidemment perdre mon sourire.

Une plante verte.

Cette soirée n'avait rien d'une fête décadente jusque-là, mais disons qu'après une certaine heure, les vieux croulants patriotes et autoritaires s'éclipsent avec les contraintes pour nous laisser bien plus libres qu'en début de soirée. Je porte la coupe de champagne à mes lèvres en sentant ce léger goût pétillant envahir mon palais et réchauffer ma gorge.

— Te voilà.

Un homme laisse tomber la veste de son costume sur le fauteuil près du mien. Sa chemise blanche se plisse légèrement lorsqu'il s'assoit à mes côtés. Je reconnais aisément un des investisseurs de ma mère.

Dans mon pays, pour diriger, il n'y a de la place que pour les hommes. Autant dire que notre entreprise familiale, dirigée par des femmes, sort un peu du lot. Notre rôle en affaires est extrêmement mal vu en Serbie. Leur esprit est encombré par le patriarcat. Comme le dit ma mère, même si le masculin l'emporte majoritairement, il faut sortir les griffes et se montrer aussi impitoyable qu'eux pour être prise au sérieux.

— Prokleta princeza, m'appelle-t-il d'un ton taquin.

Cette appellation est l'équivalent de la princesse maudite. J'y ai eu droit très tôt en mettant un pied dans ce nouvel univers. Ici, pas grand monde ne s'appelle par son prénom. On s'identifie tous au travers de surnoms et celui-là, je l'ai gagné simplement en étant la fille de ma mère.

Anastasia Milosevic.

Une femme divorcée qui s'est pris une sacrée raclée judiciaire pour détournement d'argent. Depuis qu'elle se tient à carreau, c'est moi qui suis exposée sur le terrain pour empêcher l'affaire de couler. J'ai appris à être mauvaise, à ne faire confiance à personne et encore moins à un homme comme celui qui m'accoste. Derrière ce grand sourire hypocrite se cache un véritable prédateur, mais il sait pertinemment qu'il nage lui aussi avec un requin.

— Tu en veux ?

Il me tend une bouteille de vin blanc, et à en juger par le nom de l'étiquette, je sais qu'il s'agit d'un de ses partenaires en France avec lequel il a travaillé. C'est un homme à qui tout réussit. La seule chose que j'admire chez lui est qu'il est plus ou moins parvenu à s'élever sans verser la moindre goutte de sang. Du moins, c'est ce qu'il prétend. Cependant de notre côté, ma mère et moi avons dû nous saigner pour sortir la tête hors de l'eau, quitte à faire couler quelques investisseurs au passage.

— Je préfère le mien.

La coupe en cristal tourne entre mes doigts. Plusieurs reflets se créent sur mes vêtements suite au néon qui vient le traverser. Son regard suit un instant la lumière qui se pose sur ma robe en soie de couleur pourpre. J'aime la façon dont elle épouse chacune de mes formes et cette manière de laisser apparaître l'une de mes jambes à l'endroit où le tissu est fendu. Je sais que son attention s'attarde sur ce morceau de peau et j'en joue en savourant son regard indéchiffrable qui remonte jusqu'au mien.

𝐒𝐂𝐀𝐍𝐃𝐀𝐋𝐄 (ÉDITÉ) - T1 : La Séduction de MéduseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant