Chapitre X

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Il mordillait son crayon avec la plus grande indifférence pendant que mon cœur enchaînait les loupings dans ma poitrine.

Stupide cœur addict aux accrobaties de la vie.

Les anaphores de Madame Asmaa m'indifféraient au plus haut point à cet instant.

Malheureusement pour moi, elle l'avait remarqué.

« Aaron ? Monsieur Eckhart ?
— Excusez-moi.
— Vous étiez encore dans la lune, mon garçon ! »

Je voulus répondre quelque chose d'intelligent, lui prouver que je suivais son cours avec une attention soutenue, mais Louis Rutherford choisit de relever la tête à ce moment-là. Je croisais ses yeux sombres et j'étais fini. D'après ma raison. Et j'écoutais peu ma raison en ce moment.

Il souriait, les dents plantées dans son crayon de papier, ses sourcils en forme d'accent circonflexe formant une moue amusée qui respirait la joie.

Ça me rappellait nos rires de ce matin.
Nous nous étions réveillés en retard, c'était une grande première pour moi, et nous avions englouti la moitié d'un paquet de céréales en écoutant les Beatles entonner « All You Need Is Love » à la radio. La mère de Louis était rentrée dans la cuisine en dansant, chantonnant gaiement les paroles de cette musique mythique.

Ça avait été une belle matinée.

Puis les mains sur mon vélo, nous avions remonté l'allée jusqu'au lycée en parlant de l'exposé d'histoire et de l'expérience que je devrai avoir dans la semaine.

Louis Rutherford était persuadé que je pouvais draguer une fille.

J'étais persuadé que je m'embourbais peu à peu dans une myriade de sentiments.

Alex se serait bien moqué de moi, à cet instant. Peut-être même m'aurait-il proposé de remettre ma liste à jour. Celle sur ma vie catastrophique.

Ou alors il m'aurait simplement raconté la façon dont il avait rencontré sa petite amie pendant que je jouais au Scrabble.

Si je continuais sur cette voie, j'allais finir dans une cascade de guimauve ! L'horreur.

Il fallait que je me reprenne. Que je sois soigneux dans mes contacts sociaux. Que j'arrête de laisser la phrase de Louis tourner en boucle dans ma tête.

« Faudra que je t'apprenne à embrasser... »

Était-il conscient de la signification de ses paroles ?

*.*.*

« Mais siiii ! La fille là-bas, elle est mignonne, non ?
— Mouais, bof.
— Rhooo, ce que tu es difficile ! »

Amélie Heilbrown leva les yeux au ciel devant notre petit manège avant de planter sa fourchette dans son gratin dauphinois d'un air ahuri.

La cantine était bondée. Pour la première fois de ma vie, je mangeais avec des gens qui voulaient de moi à leur table – et pas seulement pour remplir le broc d'eau – et j'avais une réelle occupation.

Autre que compter les tâches de moisissures qui décoraient plafond de la pièce, je veux dire.

Il me fallait une « cible » comme le disait Louis en hochant la tête avec une moue sérieuse. Amélie pouffait face à cette appellation.

Il fallait la comprendre, aussi, j'avais l'impression de faire du tir à l'arc plus que de mettre en place des techniques de drague intensives !

« En plus elle est blonde ! insista Louis en me montrant une jolie fille qui riait avec ses amies.
— Pas mon type, marmonnai-je.
— Mais c'est QUOI ton type ?! »

Il semblait vraiment prendre sa mission à cœur. Désolant.

Amélie posa une main appaisante sur le bras de son ami pour l'inciter à se calmer tout en m'adressant un clin d'œil amusé.

« Lâche le, Louis. Tu vois bien qu'il n'est pas intéressé.
— Okay. J'ai LA solution. Tu vas venir à la soirée de Magalie Maillard.
— Oh non, ne me dis pas que tu comptais t'y rendre, souffla Amélie qui avait quelques différents avec notre déléguée.
— Ame', c'est le seul moyen pour qu'il se fasse une copine !
— Je ne veux pas aller à une soirée, intervins-je.
— Mais si, ça va être drôle, tu vas voir !
— Mes parents ne voudront pas, paniquai-je. Et je ne suis pas encore assez normal ! »

Amélie me lança un regard torve avant de déclarer d'une voix agacée :

« Ne dis pas de bêtises, Aaron. Tu es génial. Pourquoi chercher à être normal à tout prix ?
— Je... Je ne sais pas... Heu... Draguer. Des crêpes ?
— Tu ne sais pas draguer des crêpes ? » répéta la jeune fille, dubitative.

Louis éclata de rire tandis que je m'empourprais de gêne. Pourquoi le mot crêpe faisait-il autant d'apparitions dans mon vocabulaire ?!

« Aaron, je crois que personne ne sait draguer des crêpes, reprit-elle d'une voix douce. Et, pour une fois, je partage l'avis de Louis : tu devrais venir à cette soirée. Juste pour te prouver que tu es génial parce que tu ne t'en rends visiblement pas compte. »

Sur ces paroles adorables, elle nous planta là pour rejoindre la fille blonde qui avait été l'objet de notre attention au début de notre conversation. Sous nos yeux ébahis, la blonde se retourna vers nous, acquiesçant avec un sourire ravi, et me dévisagea avec soin. Puis elle m'adressa une moue enjouée avant de reporter son attention sur Amélie qui parlait à toute vitesse.

Après un échange relativement court, elle se leva et se dirigea vers notre table, sous les rires de ses amies. Elle se planta devant moi, les bras croisés mais les yeux rieurs.

« Vanessa, se présenta-t-elle. À ce qu'il paraît, tu voudrais m'inviter à la soirée chez Magalie, samedi ?
— Hein ? N...
— OUI ! me coupa brusquement Louis. N'est-ce pas, Aaron ?
— Heu... Oui.
— Cool. Tu me passes ton portable ? »

Heu... Non ?  Pourquoi désirait-elle me racketter ? C'était étrange comme technique de drague !

« Pour rentrer mon numéro, insista-t-elle. Comme ça on pourra se mettre d'accord sur horaires avant de se montrer chez Magalie. »

Quand elle quitta ma table, j'avais les joues rouges et un nouveau contact. Et Louis riait à gorge déployée.

Je ne savais pas trop si j'étais furieux du tour qu'on venait de me jouer ou juste heureux de le voir comme ça. Un peu des deux, sûrement, car je lui murmurai qu'il allait payer.

« Quand tu veux », répliqua-t-il avec un sourire en coin.

Mon cœur chavira.

RAYONNANT [BoyxBoy]Where stories live. Discover now