CHAPITRE IV

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J'étais installé à ma place, au premier rang pour mieux voir le tableau, mais contrairement à d'habitude je n'écoutais pas Mme Asmaa déblatérer au sujet des figures de style que l'on aurait dû trouver dans le poème que nous étudions.

C'était pourtant du Rimbaud, et par n'importe quel poème de ce génie ! Mon préféré... Sensation.

« Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme. »

Mais rien à faire, j'avais l'esprit ailleurs.

À quelques pupitres de moi, entouré de ses amis, Louis Rutherford ricanait. Il avait sa main droite posée sur la cuisse d'Amélie Heilbrown, une jolie brunette qui souriait à longueur de journée – à croire qu'elle était née heureuse et qu'elle l'était restée – et son autre main était occupée à faire des arabesques avec un stylo sur son cahier. Je n'avais pas remarqué qu'il était gaucher.

Je me récitai mentalement toutes les informations que je connaissais sur les gauchers en gribouilant sur ma feuille double à petits carreaux des formes géométriques qui ne rimaient à rien.

Les gauchers représentaient 10 à 15 % de la population mondiale depuis des milliers d'années. Ils étaient capables de réfléchir plus vite qu'un humain lambda. Ils avaient été persécutés pendant de nombreuses années parce que l'on prétendait que la main gauche était la « main du diable ». D'ailleurs on disait « sinistra » en italien pour indiquer la gauche. David Bowie était gaucher.

J'aurais adoré être gaucher. C'était tout de même plus pratique pour se faire des amis. Peut-être que je pourrais essayer d'écrire de la main gauche ? Après tout, Jaime Lanister avait bien réussi à s'adapter après s'être fait couper la main !

« Aaron ? Que faites-vous ? »

J'essaie de me transformer en Jaime Lanister.

« Rien Madame Asmaa !
— Vous tenez votre stylo de la mauvaise main mon garçon...
— C'est parce que si jamais je devais me faire trancher la main, je préfèrerais savoir écrire avec l'autre, assurai-je.
— Sauf que vous ne vous ferez pas trancher la main, jeune homme, répliqua mon enseignante d'un ton agacé. Et tenez-vous bien. »

Des rires éclatèrent dans la classe et je rougis subitement. Mon regard se heurta à celui de mon professeur particulier qui affichait une expression teintée de mépris.

À la fin du cours, il attendit que ses copains sortent de la classe pour venir me parler.

« Ça ne va pas, décréta-t-il calmement.
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Tu ne peux pas agir comme ça ! Comment vas-tu réussir à te faire un ami si tu te comportes comme ça ?! »

Je balbutiai, trébuchai contre mon sac à dos posé sur le sol et dis la première chose qui me passait par la tête pour dissimuler mon anxiété.

« Tu savais qu'au Moyen Âge, on brûlait les mains gauches des gauchers ? »

Vu son air sidéré, ce n'était pas la réponse attendue...

RAYONNANT [BoyxBoy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant