Atralean - La Dame Du Marécage

Chapitre X. Serment rompu

Ignea pénétra dans la salle du bassin aux damnés. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle aperçu Loena qui se mirait dans l'eau du marécage... Elle s'apprêtait à faire demi-tour, afin d'éviter toute perte de contrôle, quand la courtisane l'interpella :

<< Ces eaux sont dangereuses. J'ai entendu dire que quiconque venait à y tomber se faisait dévorer par les âmes qui y nagent.

- Que me veux-tu Loena ? soupira la Dame en secouant la tête, exaspérée par la manière sournoise qu'avait sa rivale de lancer des banalités qui se révélaient pourtant pleines de sous-entendus.
Sa chevelure ondoyait dans l'air en suivant le mouvement. La Dame de feu sourit méchamment :

- Tu sais très bien ce que je te veux. Pourquoi continuer à m'ignorer ?

- J'ai promis. répondit simplement Ignea.

Son interlocutrice ne sembla pas comprendre.

- Promis quoi ?

- De ne pas te tuer. J'en ai fait le serment. Alors si je veux éviter de m'attirer la fureur du seigneur d'Atralean, il va falloir que je me retienne de te faire périr dans d'atroces souffrances. Et crois-moi, je m'y connais en atroces souffrances, je suis passée maîtresse dans l'art d'en donenr. Tu ne peux même pas t'imaginer à quel point tu voudras disparaître si jamais je m'y mettais.

- Mais tu as promis.

La courtisane sourit de plus belle. Elle savait que jamais la Dame n'oserait défier un ordre d'Alaster. Elle savait qu'elle était immunisée. Cela, c'était un avantage qu'Ignea ne possédait pas. Son coeur se gonflait sous le coup d'une assurance nouvelle.

- Pourquoi parlais-tu des eaux ? s'enquit la Dame auprès de sa rivale.

Elle passait du coq à l'âne dans l'espoir de calmer la haine qui l'habitait. Loena poussa derrière son oreille une mèche de cheveux enflammée et sussura, mielleuse :

- On dit que l'eau du marécage lève les malédictions quand elle tue.

- Et alors ?

- Je me demandais si tu retrouverais un semblant de beauté une fois que je t'y aurai plongée pour t'y noyer.>>

Soudainement, elle bondit sur Ignea. Celle ci n'avait pas prévu le coup assez rapidement. Sous le poids de son assaillante, elle roula au sol, tentant se dépêtrer de Loena. Ses griffes d'argent s'attaquèrent au visage sublime de sa rivale. La Dame n'utiliserait pas ses pouvoirs. Ce serait bien trop dangereux. Même si, pour l'instant, elle n'arrivait pas à définir pour qui.
Elle parvint à éjecter son ennemie et à se relever. Mais la courtisane se redressa également et bondit de nouveau. Cette fois ci, elle réussit à faire chuter la jeune femme dans l'eau et enserra brusquement la gorge fine d'Ignea, la maintenant complètement immergée. Celle ci se débattit, ses griffes laissant des traces ensanglantées sur les bras de Loena. Mais cette dernière ne lâchait pas prise, continuant d'étrangler la jeune femme aux cheveux noirs, lui maintenant la tête sous l'eau et la privant d'air.

Peu à peu, les mouvements d'Ignea se faisaient plus lent et imprécis jusqu'à qu'elle cesse de se débattre, flottant sous la surface verdâtre, immobile, les yeux fermés. Loena la relâcha prudemment. C'était tout ? Elle venait réellement de se débarrasser de sa rivale si facilement. Et dire qu'elle avait attendu plus de huit cent ans pour cela... Mais alors qu'elle fixait le corps, satisfaite, une sorte de liquide noire circula dans les veines de la Dame du Marécage. Son corps squelettique semblait reprendre quelques formes. Doucement son visage se modifia afin de redevenir doux et avenant, laissant place à des traits fins et gracieux. Sa pâleur cadavérique disparaissait tandis que des couleurs semblaient naître sur sa peau auparavant blanche comme neige. Sa chevelure noire qui flottait autour de sa tête ondoyait au rythme de l'eau et ne ressemblait plus à une auréole de fumée.
Ignea était d'une beauté surprenant, ravageuse, envoutante et irrésistible. Une beauté qui surpassait même celle de Loena.

Soudain la Dame ouvrit les yeux : les puits noirs avaient laissé la place à deux yeux d'un vert profond qui brillaient d'une étrange lueur. Loena voulut reculer mais Ignea fut plus rapide. Elle saisit la gorge de sa rivale avec force, l'attira brusquement à elle et se mit à nager vers le fond du bassin, entraînant la jeune femme à la chevelure flamboyante qui se débattait derrière elle. Les âmes grouillaient autour des deux dames en poussant des gémissements à glacer le sang. Les damnées s'agrippaient aux tissus soyeux de la robe de Loena, l'attiraient à elles, vers les ténèbres. La Dame du Marécage lâcha sa rivale qui sombrait vers les profondeurs, embrassant la mort. Autour d'elle l'eau se troublait, et il lui semblait ressentir d'étranges remous. Un frisson la parcourut et elle serra autour de son corps désormais gracieux ses bras fins. Quelque chose était différent. Quelque chose clochait.
Elle entreprit de remonter à la surface avant qu'elle ne soit trop faible pour y parvenir, ses bras fendant l'eau et ses jambes la propulsant vers le haut.

Lorsqu'elle jaillit de l'eau, son apparence était redevenu ce qu'elle était : pâle, maigre et effrayante. Ignea se tira hors de l'eau à l'aide de ses bras, toussant et crachant la vase qui emplissait ses poumons. Soudain des griffes s'enfoncèrent dans ses épaules la tirant avec violence sur le sol noir. Elle retint un cris de douleur lorsque les griffes pénétrèrent sa chaire. En l'espace de quelques seconde le seigneur d'Atralean fut au dessus d'elle et gronda :

<< Tu as rompu ton serment, tu l'as tuée !

La jeune femme tenta de se défaire de l'emprise de la bête des marais mais les griffes s'enfoncèrent un peu plus dans ses épaules meurtries.

- Qu'est ce que ça peut faire ?

Réussit-elle à cracher.

- Tu as rompu ton serment Ignea. Tu avais dis que tu ne la tuerais pas.

- J'ai dis que je ne l'attaquerai pas. Elle, elle l'a fait, elle a tenter de me noyer.

- Tu ne peux pas te noyer bordel ! C'est presque comme si tu étais immortelle ! Jamais le marécage ne t'emportera.

À chaque parole il avait secoué la jeune femme, labourant encore plus sa chaire.

- Elle a tenté de me tuer ! hurla la Dame au bord du désespoir.

Ne se retenant plus elle projeta Alaster contre un mur à la force d'une immense onde de magie. Tandis que la bête reprenait ses esprits, la jeune femme se redressa, sur ses gardes, en position de combat. Le seigneur d'Atralean grogna alors, ses iris rétrécirent jusqu'à devenir deux fentes rouges et, laissant ses instincts bestiaux reprendre le dessus, il se jeta sur elle. Mais la Dame le repoussa d'un simple geste de la main, habitée d'une énergie nouvelle. Furieuse, la bête recommença. Ignea croisa ses poignets devant son visage, créant un bouclier qui la protégea de l'attaque. Cependant elle saignait abondamment des épaules, un liquide noir coulant le long de ses bras, tombant sur le sol noir. Elle perdait ses forces et les attaques de son amant, chacune plus puissante que la précédente, ne cessaient pas. Puis celui ci s'immobilisa et se redressa sur ses deux pattes. Cela suffisait. Cette violence suffisait. Sa Dame était tombée à genoux, les poignets toujours croisés. Il s'approcha et plongea sa main au travers du bouclier. Ses doigts forcèrent le passage, encerclèrent la gorge d'Ignea et il la souleva du sol avant de l'y plaquer violemment. Il s'agenouilla près d'elle et lui murmura doucement :

- Tu ne dois plus jamais rompre un serment envers moi, quel qu'il soit. Cela a de trop grandes conséquences dont tu n'as aucune idée. Alors que ce soit celui qui nous lie tous deux ou bien un autre, tu ne dois plus rompre de serments.>>

La jeune femme ne pu que gémir en signe d'acceptation. Avant de perdre connaissance dans les bras de l'immonde bête, épuisée par son petit tour dans les profondeurs du marais et affaiblie par sa perte de sang.

Alaster la souleva alors, la portant dans ses bras puissants. Elle était si légère et si maigre qu'il pourrait aisement la briser en deux d'une simple pression sur son échine...
Il l'amena à leur chambre où il la déposa dans leur lit et l'observa un instant, lâchant un drôle de grognement. Puis le seigneur d'Atralean fit demi-tour et quitta sa Dame sans jeter un seul regard en arrière.