Chapitre 8

62 18 8
                                    

En arrivant dans le self, accompagnée de Gwenaëlle, nous nous installons à une table de six, assez grande pour accueillir toutes les autres arrivant après nous. Nous entamons nos entrées respectives, carottes râpées pour elle, et saucisson avec de la salade pour moi. Lorsque j'aperçois Ginny et Lucie, je leur fais signe pour qu'elle nous repèrent dans la grande salle.

Je vois le regard de Ginny nous effleurer, puis continuer sa route pour s'arrêter sur une table situé derrière nous. Les deux brunes échangent un sourire, se dirigent vers notre table... Et la dépasse en ne nous adressant pas un regard. Alors que je me pétrifie en provoquant sans le vouloir le bruit atroce du couteau sur l'assiette, Gwen me dévisage en reposant calmement ses couverts.

"Ça va ? me demande-t-elle, l'air soucieux.

- Tu n'as pas vu ?

- Voir quoi ?

- Ben Ginny et Lucie viennent de s'installer à une autre table...

- Ah bon ? Tu es sûre ?"

Elle paraît réelement surprise, fronce ses fins sourcils, et se redresse pour fouiller le réfectoire des yeux. Éloïse arrive à cet instant, et pose son plateau rempli à côté du mien. Lorsqu'elle nous demande où sont les filles, je lui répète qu'elles sont assises à une autre table. Lorsqu'Éloïse me demande pourquoi, je me contente de hausser les épaules.

" Bah, conclut Éloïse, elles ont pas dû nous voir et c'est tout.

-Oui, sûrement ! la soutient Gwen."

Pourtant, je ne suis pas convaincue par ce que la brune aux yeux clairs avance. Je sais moi, que Ginny et Lucie nous ont vu. Mais je décide de me taire, car de toute façon, jamais les filles ne me croieront. Thaïs arrive, accompagnée de Maëlle et Anaelle.

J'aime beaucoup Maëlle et Anaelle. Je ne les connais pas depuis longtemps, mais ces jumelles sont vraiment sympas. Elles ont beau se ressembler comme deux gouttes d'eau, leurs caractères diffèrent autant que la nuit et le jour.
Les deux sœurs ont de longs cheveux bruns, qu'elles laissent tout le temps attachés. Je crois bien que je ne les ai jamais vu sans chignon ou tresse. Elles sont plutôt grandes, mais pas au point de dépasser Gwen. Maëlle porte des lunettes, qui encadrent ses yeux marrons, identiques à ceux de sa jumelle.
Anaelle est d'un caractère posé et calme, tandis que Maëlle est assez explosive, impulsive, très protectrice envers sa sœur et surtout, extrêmement franche. Elles ont l'air d'anges, mais vous savez ce que l'on dit. Les visages les plus angéliques cachent souvent les caractères les plus pervers et lucifériens. Si vous ne me croyez pas, regardez Solenn. Mais cependant, une fois mis à part leur légère susceptibilité et leurs quelques lacunes au niveau compréhension de blagues, les jumelles sont très fréquentables.

Les jumelles et Thaïs posent donc leur plateau sur la table et s'assoient, l'air de rien. Je pense qu'elles n'ont même pas remarqué l'absence des deux filles. Ou alors, elles s'en moquent. Il est vrai que ce n'est pas le grand amour entre Thaïs et Lucie, et comme Anaelle et Maëlle sont plus proches de Thaïs, elles la suivent dans son manque total d'attention envers Lucie.

En réalité, je préfère largement l'ignorance paisible instaurée entre Thaïs et Lucie, comparée à une époque où elles ne pouvaient même pas se trouver dans la même pièce. Cependant, j'aimerais savoir ce qui a provoqué cette animosité entre elles, alors qu'elles étaient auparavant très proches. Mais ce n'est pas faute d'avoir demandé maintes fois, je n'ai jamais eu de réponses, d'un côté comme de l'autre.

-Bon, je vais les voir, lance Éloïse.

Nous la regardons partir, puis je me retourne vers mon assiette. Inutile d'assister à la scène qui va suivre. Pourtant, je le regrette bien vite lorsque je remarque que les sourcils de Gwen se froncent et qu'elle ouvre légèrement la bouche, comme toujours lorsqu'elle est prise au dépourvu. Je suis son regard et croise celui d'Éloïse, plein d'un mélange de pitié, de colère, d'incompréhension et d'une dernière émotion que je n'arrive pas à identifier. Assise à côté de Solenn, et en face de Lucie, elle me dévisage avec tant d'instance que je finis par détourner les yeux, non sans noter avant le sourire qui flotte sur les lèvres de la blonde, celui d'un chat qui aurait mangé le canari de la voisine. Un mélange de satisfaction, de plaisir et un chouia de culpabilité. Mais cette dernière est tellement infime, se noyant dans les autres émotions néfastes, que je pense que je l'ai inventé.

Je commence à attaquer mon plat, c'est à dire un sauté de porc avec une purée de pommes de terre et des brocolis. Je commence à tout ça dans mon assiette, la boule au ventre, quand quelqu'un me tape sur l'épaule. Je relève la tête mais ne me retourne pas immédiatement. Je prends d'abord le temps d'observer le visage des filles.

Gwen a le visage fermé et fixe un point derrière mon épaule droite. Thaïs, à côté de moi, regarde un instant dans la même direction, fronce les sourcils, m'examine, et finit par poser ses couverts. Elle croise ses petites mains sous son menton et fixe elle aussi la personne qui m'a tapé sur l'épaule, la tête légèrement penchée sur la droite et les yeux plissés. Maëlle s'évertue avec beaucoup (trop) d'application à essayer de piquer sa purée avec sa fourchette et Anaelle s'intéresse soudainement à ses couverts, se découvrant subitement une passion pour l'argenterie.

Je tente d'évaluer la menace en me basant sur les réactions de la tablée qui m'entoure. Gwen est méfiante, Thaïs sur la défensive et les jumelles, faussement désintéressées.

Je prends une longue inspiration, bloque mon souffle, et le libère doucement en me tournant vers l'objet de l'attention générale, situé dans mon dos.

-Qu'est-ce que tu veux Solenn ?

Au bord du gouffre [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant