Prologue

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Dix minutes, c'était le temps que j'avais perdu pour traverser les petites ruelles, lorsque j'entendis un morceau de Noël passant prématurément dans une petite boutique de bijoux artisanaux sur ma gauche.

Le froid des derniers jours n'était pas nouveau, pas plus que les manteaux sortis depuis quelque temps. Pourtant, on sentait aisément qu'un nouvel air planait au-dessus des têtes des gens. Ces derniers anticipaient. Ils rêvaient. Et pour la première fois depuis des années, je m'autorisai, non pas de me couvrir d'illusions mais de replonger dans de lointains souvenirs.

Dans la famille des Carlier, nous avions toujours été festifs. En vérité, cet amour pour les soirées venait surtout de ma mère, Jennifer, qui était « gaie comme un pinçon », comme disait si bien ma grand-mère maternelle, Rose. Quoi qu'il en soit, la bonne humeur légendaire et le goût prononcé de Jenny pour les choses simples mais précieuses nous avaient tous convertis.

Ainsi, petite, j'avais idolâtré (sans exagération) ces instants passés avec mes proches.

J'avais aimé m'habiller de rouge durant tout le mois de décembre et rêver de la nuit de Noël. J'avais aimé écrire ma lettre au Père-Noël et ce, même si cette dernière était truffée de fautes car je refusais toujours que ma mère la relise. Après tout, c'était pour le monsieur du Pôle Nord que j'avais écrit et pour personne d'autre...

Autrefois, j'avais aimé rester des heures, le nez écrasé, devant les vitrines illuminées avec ses magnifiques trains anciens, ses moulins et ses beaux paysages enneigés. Il faut dire que nous avions tout dans notre petite campagne de la Savoie : le bonheur, l'amour, la santé ou presque, la nature et des centaines de cœurs purs. Voilà pourquoi ma mère disait tout le temps que nous n'avions pas besoin d'aller camper ailleurs, que nous avions tout sur place.

À l'époque, à Solivar, il y avait le village du Père-Noël. Ce dernier avait toujours été plus ou moins géré par Rose. Là-bas, nous pouvions prendre une photo avec le vieil homme à la barbe et au manteau rouge. Son lutin donnait des chocolats aux enfants et grâce à Rose qui connaissait tout le monde, les deux êtres faussement magiques savaient toujours comment les petits bouts de chou s'appelaient. Ce petit tour de passe-passe sauvait bien souvent les parents des petits futés qui commençaient à douter de tout ce qu'on leur montrait.

En plus du marché de Noël et des bonnes actions de l'ensemble de ma famille dans le village, il y avait également l'étape très importante du sapin. Chaque année, nous refusions d'en couper un autre. De toute manière, nous n'en n'avions pas besoin puisque nous en possédions un, immense, dans la pelouse. Bien évidemment, nous ne le décorions pas avant le 24 décembre, comme la tradition d'autrefois le voulait.

Ensuite, après la fameuse séance d'habillage de l'épineux, qui se faisait comme toujours dans la bonne humeur et en très grand nombre puisqu'il s'agissait pour nous d'une étape qui devait se faire en famille, ma grand-mère m'amenait à la messe de minuit. Là-bas, j'avais le droit à des contes de Noël puis nous chantions et prions. Rose aimait alors dire que nous étions entourées d'anges.

Sans aucun doute, les Noël de mon enfance avaient été joyeux, chaleureux et doux. Pourtant, en grandissant, je perdis petit à petit ce que l'on appelle « l'esprit de Noël ». Plus de magie, il ne me restait plus que mes yeux pour m'émerveiller de ce que je jugeais désormais comme purement commercial. Alors que ma famille restait heureuse durant cette période, ma foi disparut. Et cette cassure me sépara peu à peu d'eux, sans même que l'un d'entre nous ne le remarque.

Mais pour tout dire, ce fut après une grosse dispute avec ma mère que j'arrêtai complètement de fêter Noël. Je quittai Solivar, dis adieu à ce cocon blanc et moelleux pour me diriger vers la capitale avant de me réorienter vers la ville qui me permit de rencontrer l'homme de ma vie. Cela serait mentir de dire qu'il ne m'arrivait pas, de temps en temps, de regretter le passé. Après tout, c'était assez simple étant donné que c'était la vision d'une petite fille ou d'une adolescente qui ignorait encore les malheurs existants dans ce monde...

Je devais d'ailleurs reconnaître que cette année encore, à l'approche du début du mois de décembre, j'avais comme toujours, eu une petite pensée pour ma famille que je n'avais pas revue depuis longtemps. Seulement le fossé qui s'était creusé entre nous avait fait qu'après avoir fermé les yeux durant quelques secondes, je m'étais obligée à me recentrer sur ma vie actuelle, celle qui était concrète et serait également mon futur.

Ce jour-là, alors que je m'étais arrêtée deux petites minutes sur le trottoir menant à mon lieu de travail, nous étions le 30 novembre. Le lendemain, vendredi, débuterait le dernier mois de l'année. Et tandis que les gens autour de moi parlaient des fêtes, je ne songeais plus qu'à une seule chose désormais : le travail énorme que j'aurais si je continuais encore à rêvasser plutôt que de rejoindre mon bâtiment.

Alors après avoir pris une bonne inspiration, je refermai d'un coup sec mon manteau. Il n'y avait plus aucun doute là-dessus, la petite fille que j'avais été autrefois avait délibérément laissé place à une femme en communion avec son temps et qui avait la tête sur les épaules...

Noël chez les Carlier (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant