Chapitre 9

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Quentin me sourit et me rendit l'usage de ma main. Je me sentais bien à cet instant précis, cependant des interrogations toujours sans réponse asservissaient mes capacités de décontraction. Il m'était nécessaire de savoir pour quelle raison je m'étais réveillé dans ce lit. Le lit de Quentin.

« Que s'est-il passé hier soir à la suite de notre échange de questions ? »

J'avais l'impression d'avoir connu une absence. Je crus avoir quelques réminiscences, mais il ne s'agissait peut-être que de songes.

« Il est normal que tu n'aies aucun souvenir. Tu t'es endormi et tu es tombé en engendrant le bruit d'un troupeau de pachydermes ! C'était tellement amusant à voir, mais j'ai bien cru que tu étais mort. Je n'ai jamais vu quelqu'un dormir aussi profondément. J'ai beaucoup ri. Je t'ai installé dans mon lit, car tu me faisais de la peine à lécher le sol.

— Je léchais le sol ?

— C'est une façon de parler ! » pouffa-t-il.

Je n'ai jamais dormi de la sorte auparavant. Mes nuits ne sont que tourments en temps coutumier. Je ne me remémorais pas même avoir rêvassé depuis longtemps. Ce n'était pas déplaisant.

« Nathanaël, tu as passé la nuit ici. Ton père ne va-t-il pas être inquiet ? J'ai voulu le prévenir lorsque tu t'es endormi comme une masse, mais je n'ai pas son numéro. Et tu n'avais pas ton téléphone avec toi. »

Mon père n'avait sans doute pas remarqué mon absence. Je ne savais que répliquer à Quentin. Je ne pouvais pas lui affirmer que mon père avait l'habitude de me voir partir chez des amis et ne pas en revenir puisque je n'ai jamais eu d'ami. Et, je ne pouvais pas non plus annoncer à Quentin que mon absence était sans nul doute passée inaperçue. Toutefois, je ne pouvais me résoudre au mensonge.

« Oh ce n'est rien. Il ne l'a sans doute pas remarqué. Et il y serait insensible dans le cas contraire. »

Je conçus instantanément que ma réponse accabla Quentin. Son regard s'exprima pour lui.

« Bien, que dirais-tu de venir avec moi au bar de la dernière fois après le repas ? Je dois y retrouver Jules et Maxime. »

J'acceptai volontiers. J'aidais Quentin à dresser la table rectangulaire, agencée horizontalement au centre du salon et nous nous y installâmes. Je me trouvais sur la longueur sud et Quentin s'installa à ma droite, sur le bord de la table. Sur celle-ci nous avions disposé une nappe en tissu blanc, des serviettes en coton du même blanc, deux assiettes de couleur gris pâle, des couverts en argent, une carafe d'eau en cristal et deux verres à whisky.

Quentin entreprit une tentative d'explication, comme embarrassé :

« Je ne possède que des verres à whisky, car je les trouve très beaux.

— Ils sont très esthétiques, c'est vrai. Tu aimes le whisky ?

— Absolument pas. Haha... ha... »

Cette remarque devait résulter du fait que Quentin savait éperdument que j'ai une hantise des personnes qui boivent. Je ne ressens pas ces ondes négatives vis-à-vis des personnes qui ingèrent quelques verres de temps en temps, mais simplement à l'excès. Et je savais que Quentin ne faisait pas partie de ces personnes. De plus, je trouvais cela amusant de ne pas aimer boire une boisson mais de collectionner les verres prévus à l'absorption de celle-ci.

Quentin partit en cuisine avec nos assiettes et en revint avec celles-ci. Il déposa devant moi cette surface ronde et polie, agrémentée d'un morceau de viande blanche de taille moyenne disposée en plein milieu et entourée de légumes rouges, verts, jaunes... Un coulis de sauce en ondoiement.

Nous commencions le repas. C'était délicieux. Les segments de poivrons étaient émincés à la perfection. La viande était tendre et délectable. Les épices pertinemment dosées. Je dégustais chaque bouchée en laissant s'échapper quelques sons de satisfaction. Je me sentis rougir. Je ne parvenais à connaître la raison : était-ce le piment ou bien la gêne de déguster un plat de cette façon ?

Au moment de prendre une nouvelle fourchette en bouche, je remarquai Quentin me dévisageant, le menton posé entre ses deux mains, la tête dressée vers le haut de façon presque imperceptible et avec un ample sourire, presque bête. Je m'essuyai la bouche sur le textile blanc se trouvant à ma gauche et repris mes esprits.

Je regardai la serviette que je venais d'utiliser. Celle-ci était saturée de sauce orangée. Je sentis mes yeux loucher et s'arrondir à cette vision. Quentin éclata de rire juste après avoir avalé une bouchée.

« Tu es le roi des grimaces ma parole ! C'est normal que ta serviette soit sale, elle est blanche et elle sert à... essuyer nos saletés culinaires ! Ne fais pas cette tête, oh là, non... Je vais m'étouffer. »

Et ce fut le cas. Quentin rigolait tout en expectorant à de nombreuses reprises. Bien heureusement, il pouvait encore parler, rigoler et surtout respirer... Ses voies respiratoires n'étaient donc pas obstruées et mon assistance aurait été inutile. En revanche, s'il venait à ne plus être en mesure de communiquer et donc de respirer, je savais comment l'assister.

Après le repas, nous entamions la vaisselle. Je lavais pendant qu'il essuyait et rangeait.

Une fois la corvée terminée, nous montâmes à la salle de bains pour nous laver les dents. En entrant dans la pièce, Quentin se décida enfin à enfiler un haut. Il choisit un tee-shirt blanc par-dessus lequel il mit un chandail en maille couleur ébène.

« Tu pourras laisser ici la brosse à dents que je t'ai donnée, comme ça si un jour tu désires rester de façon imprévue, tu en auras toujours une. » déclara Quentin d'un air complice.

J'acquiesçai de la tête. Une fois prêts tous les deux, nous entamions le chemin pour nous rendre au bar.

« Nathanaël. »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant