Les Six Derniers

CHAPITRE VIII : Alyssa

QUADRYA

Voilà quatre soirs que Darween n'assistait plus au repas familial et, même si Alyssa aurait voulu s'en moquer, des questions ne cessaient de se bousculer dans sa tête. Il arrivait que le jeune homme manque délibérément un souper pour tenir tête à son père Egonn, le roi de Quadrya, mais jamais autant de fois de suite. De plus, elle ne le croisait plus depuis qu'elle l'avait frappé dans la cour, au vu de tous. Elle avait déjà eu de la chance d'échapper au courroux de son père ; mais elle ne manquait pas aux regards assassins d'Avanna, la reine.

Alyssa ne pouvait lui en vouloir de la haïr, elle, le fruit de l'infidélité honteuse de son mari. Mais son visage altier, ses yeux froids et sa voix aussi mielleuse qu'empreinte de mépris faisait qu'Alyssa la détestait tout autant.

_Je ne comprends pas, avoua Avanna, coupant sa viande avec des couverts d'ivoire. Pourquoi cette enfant doit se tenir à notre table?

Egonn poussa un long soupir et, posant son verre de vin, grogna :

_Avanna, ne commence pas.

_Elle se tient à notre table ! s'étrangla la reine avec un regard empreint de haine pour Alyssa -qui ne le lui en renvoya pas un de plus doux. Bientôt peut-être sera-t-elle celle que tu placeras su rle trône de Quadrya ! Au mépris, une fois encore, de ton aîné !

_Avanna ! gronda Egonn.

Ses yeux bleus, fichés sous d'épais sourcils blancs froncés, pétillaient de colère. Avanna, qui ne semblait pas plus que cela impressionnée, se tourna vers son mari, la bouche tordue dans un rictus de consternation :

_Darween est ton héritier légitime, ton fils, et tu ne t'inquiètes pas plus de sa situation ! Mieux : tu laisses cette impure manger avec nous !

_Maman ! s'écria alors Hallison de sa voix cristalline. Alyz estgentille !

Alyssa posa sa main sur le bras de sa demi-sœur, l'intimant ainsi au silence. Elle avait l'habitude qu'Avanna la dénigre ainsi, même en plein banquet avec des dizaines de convives de hauts rangs à portée de voix que la mégère avait soudain de puissante.

_Tais-toi ! s'emporta Avanna alors qu'Hallison se recroquevillait sur son siège. Une princesse ne s'écrie pas ainsi ! Je devrais punir tes précepteurs pour l'éducation médiocre qu'ils te donnent !

Egonn détourna le regard, lassé. Alyssa haïssait cette faiblesse ; le roi était évidemment en position d'infériorité face à sa femme. Comment a-t-il pu en devenir ainsi ?

_Darween n'est plus mon héritier, finit par lâcher le roi en selevant. Tu me fatigues, femme. Je vais me coucher.

Sans plus de cérémonie, il quitta la table. Dès que les portes se refermèrent derrière lui, gardées par deux gardes en fonction, un silence lourd et pesant s'abattit sur la table.

_J'aimerais que tu quittes ce repas à ton tour, siffla Avanna avec un regard cruel pour Alyssa. Tu n'y seras plus la bien venue à partir d'aujourd'hui, est-ce bien clair ? Tu prendras ton souper avec les servantes, plus tard dans la soirée, ou, si tu tiens à manger chaud et tôt, tu te le feras toute seule. Tu es assez adroite de tes mains pour te servir d'armes réservées aux hommes, j'imagine que tu pourras aligner trois feuilles de salade sur une assiette.

Alyssa foudroya Avanna du regard. Celle-ci ne broncha pas, gardant son regard glacial rivé dans le sien, verrons. Finalement, la jeune fille repoussa sa chaise et quitta la salle à son tour, sans un regard pour Hallison qui avait gonflé ses joues roses et froncés ses fins sourcils blonds. Alyssa sortit au dehors. L'air, même si l'hiver tardait à venir, était vif. La nuit était tombée et la cour avait été désertée. Seul restait un garçon d'écurie qui finissait de regrouper le fumier derrière les écuries. Alyssa se maudit un instant de ne pas avoir pensé à mettre une tunique plus épaisse.