CHAPITRE V : Darween

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QUADRYA

Darween avait vingt ans. Il était grand, bien bâti, beau et il le savait. Il lui manquait un bras, coupé au niveau du coude. Le bras gauche, arraché sauvagement quatre ans plus tôt lors d'une guerre contre des barbares montés sur des loups. Ce qu'il avait fait subir au cavalier de l'animal qui l'avait démembré était une douce caresse comparé au sort qu'il avait réservé à la bête sauvage, énorme, d'un poil aussi terne que sale. Quand il avait eût fini,elle ne ressemblait même plus à un mammifère et son pelage avait viré à l'écarlate. Darween rêvait souvent de cet épisode : son bras arraché, sa vengeance. Et sa colère, pure, quand son père lui avait annoncé que, estropié, il ne pourrait pas faire un bon roi. Car un roi se devait de combattre aux côtés de ses hommes, mais qui se battait et tenait sa monture avec une seule main ? Alors Darween s'était entraîné, plus dur que quiconque ne le ferait jamais. Après deux ans à frôler la mort et à s'entraîner jusqu'à l'épuisement le plus total et plus encore, il avait compris qu'il ne ferait pas changer son père d'avis. Pas de cette manière là. Sa haine s'était peu à peu transformée en un esprit vif et aiguisé ; et il avait planifié sa vengeance. Tuer son père ne suffirait pas ; Hallison, se serait elle qui monterait sur le trône ; pas lui. Et tuer sa petite sœur ? Son père s'empresserait de faire un autre enfant et Darween éveillerait ses soupçons. Il continuait donc à réfléchir, toujours. Mais depuis quelques mois, sa colère ne se dirigeait plus exclusivement vers son père ingrat, mais aussi vers sa bâtarde de demi-sœur. Elle se croyait chez elle au palais, à s'entraîner avec les soldats, à participer aux banquets - bien que relayée au fond de la salle - et à monter sur les destriers des écuries royales. Mais elle n'était rien, et Darween détestait ce petit sourire qui se dessinait sur son visage ; il ne savait pas à quoi elle pensait et cela le rendait fou de rage. Planifiait-elle aussi une vengeance ? Il avait pensé à s'allier à elle au début, pensant leurs intérêts communs mais elle aurait eût vite fait de le dénoncer pour s'attirer les bonnes grâces de son père.

Aujourd'hui et une nouvelle fois, Alyssa l'avait ridiculisé. Darween, retourné dans ses appartements luxueux, se changea pour enfiler un pantalon propre. Celui qui était atterrit dans la boue était irrécupérable et l'odeur de crottin était atroce. Il en profita pour mettre une autre tunique avec une veste assortie. Enfin, il se para de bottes d'équitation à moitié décousues sur le bout en cuir et rejoignit une nouvelle fois la cour. Comme il s'en doutait, Alyssa n'était pas revenue. Elle ne perdait rien pour attendre ; cette peste finirait de toute façon bien par quitter le palais. Elle le savait aussi ; elle n'était qu'une tâche au château, de même que dans le royaume entier de Quadrya. Un royaume qui finirait par lui appartenir à lui, se promit Darween alors qu'il sellait rapidement la monture la plus rapide de l'écurie. C'était une belle bête, robuste surtout. Sa robe était brune et sa crinière fine et lustrée. Darween monta en selle et, sans attirer aucun regard, quitta la cour par une porte latérale, loin de l'entrée principale et de son monde. Il avait mit des habits pas trop coûteux qui ne le dénonceraient pas, mis des lentilles de contact qu'il avait eu beaucoup de mal à trouver, et teint ses cheveux en noir corbeau. Il était méconnaissable. Mais il y avait eu le problème du bras. Heureusement, il s'était souvenu d'un cadeau offert par le vieux menuisier de la cour, mort deux ans auparavant, qui lui avait confectionné un chef-d'oeuvre ; un avant bras en bois. Darween avait grandi, mais il restait à sa taille. Il fallait le sangler autour de son moignon et, passé sous une tunique et dans un gant il n'en paraissait rien. Sa main valide guidant son cheval, il quitta la route royale du palais, s'enfonça dans les sombres ruelles et, en quelques minutes, quitta la ville qui s'était bâtie autour du palais. En comparaison avec les autres fiefs de Quadrya, elle était grande, mais la plupart des personnes de la capitale résidaient au palais. C'était bien souvent leurs familles qui avaient emménagées ici.

Les Six DerniersWhere stories live. Discover now