Chapitre 22 : papillon sorti de son cocon.

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JE PASSAIS le reste de ma journée à sentir la tête me tourner. Je me sentais affreusement faible. La faim me dévorait la tête, me torturait les entrailles, me tapait sur le crâne à coups de poings en hurlant qu'elle voulait manger.

Mais ma faiblesse physique ne serait rien comparée à ma faiblesse mentale si je mangeais un morceau. Cette faim que je devais domestiquer m'indiquait que j'étais sur le droit chemin. Je pouvais commencer à reprendre espoir. Devenir quelqu'un de normal.

Pourtant, j'avais l'impression que plus les jours passaient, plus mon reflet était gros, flasque et imposant. Plus les jours passaient, moins je ressemblais à quelqu'un.

Je me recouchais en enfonçant mes écouteurs dans mes oreilles. Trop faible pour bouger. Dans les plis de mes draps, je fondis en larmes, bercée par les paroles réconfortantes de Daughter.

*

"Raph. Raph ! On mange."

Ma mère me regarda, de ses yeux perçants.

J'avais le visage bouffi de larmes et je pouvais à peine bouger.

"Pas faim, maugréais-je en renfonçant mon nez dans la couverture."

Chaude, épaisse, moelleuse. Comme la mie de pain. Oh dieu que j'avais faim.

"Il faut que tu manges, chérie. C'est pour ça que tu es malade.

- Je peux rien manger, je vais vomir...

- Je t'en prie, ma chérie, supplia ma mère."

Je voyais clair dans son jeu : elle voulait la jouer tendre et affectueuse pour que je tombe plus facilement dans son piège. Mais malgré mon clair surpoids, j'avais réussi à passer entre les mailles du filet. J'étais plus intelligente qu'elle ne le pensait.

Est-ce que tout le monde me voyait comme la grosse débile de service ?

Elle abandonna et sortit de la chambre. Je jubilais intérieurement mais ma joie était, comme d'habitude, de courte durée. Ma musique dans les oreilles, j'essayais de me retenir de pleurer. Cette envie de pleurer m'avait prise en traître. Comme d'habitude.

J'avais beau être plus maligne que ma mère, la tristesse restait maître incontestable de la ruse.

"Toc toc toc c'est papa."

Je soupirais intérieurement.

Pourquoi me tournaient-ils autour comme un essaim d'abeilles ?

"Prends un peu de soupe. Ca fait du bien, la chaleur.

- Y a quoi dedans ?

- Tomate. Juste de la tomate."

Je me relevais sur les fesses et pris le bol breton qu'il me tendait. Trempant les lèvres dans le liquide rouge et encore brûlant, je bus à petites gorgées. Ce n'était que de l'eau et de la tomate. Ca ne pouvait pas me faire de mal.

Je me sentis coupable et ne pus apprécier la soupe que mes parents avaient préparé juste pour moi.

Je bus à petites gorgées, comme un chaton lapant son lait. Mon père me regardait attentivement, guettant chacun de mes mouvements, chacun de mes faux-pas. Lorsque je reposais le bol enfin fini, il me caressa les cheveux avec un sourire qui n'en était pas vraiment un aux lèvres.

"Repose toi, puce."

Je me renfonçais dans mes draps et enfonçais mes ongles dans mon bras droit.

Dernière valse.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant