- Jean et Serge m'ont dit que tu avais beaucoup voyagé et que tu avais peu d'expérience mis à part ton Master en droit international.

- Je n'ai pas validé mon Master, je suis partie en Asie avant de le terminer. J'ai vite compris que je n'avais pas envie de travailler dans le droit. J'ai essayé d'aller jusqu'au bout jusqu'au moment où j'ai eu l'opportunité de mettre les voiles. 

- Ah okay !

- J'ai commencé par la Thaïlande, c'est devenu mon port d'attache ces sept dernières années. J'ai aussi visité la Malaisie, le Laos, le Viet-Nam, le Cambodge. J'ai passé quelques semaines en Birmanie, en Indonésie et aux Philippines. J'ai passé pas mal de temps en Inde aussi mais je revenais forcément en Thaïlande.

- Et tu n'es jamais rentré en France ?

- Non. Je suis seulement rentrée il y a deux semaines pour la naissance de ma filleule.

Comme je m'en doutais, il me regardait d'un air dubitatif. Je décidais donc de poursuivre alors qu'on entrait dans la brasserie :

- Mon parcours est atypique. Mais pendant l'entretien, j'ai cru comprendre que tu faisais de nombreux déplacements en Asie. Je pense qu'on devrait réussir à ne pas se perdre à deux et à arriver à l'heure à tes rendez-vous !

On était maintenant assis, sur une petite table dans une alcôve. La déco était simple et chaleureuse.On entendait très peu le bruit de la salle. Il continuait de m'écouter attentivement, comme s'il me jaugeait. Puis il prit la parole :

- Comme je l'ai laissé entendre, ton prédécesseur n'était pas du tout compétent. Il se débrouillait vite fait au bureau mais dès qu'on en sortait c'était une calamité. J'ai failli perdre des clients de sa faute. Mais passons, tu verras, il n'y a rien de compliqué dans ce que tu auras à faire.

Le serveur arriva pour prendre notre commande. En attendant nos plats, mon nouveau boss m'expliquait ses réelles attentes : réserver les billets et les hébergements, planifier les déplacements, l'accompagner aux rendez-vous pour prendre des notes et taper des comptes-rendus d'entretien.

- Comme nous n'avons jamais voyagé ensemble, tu as quoi comme exigences en matière de confort ?

Je vis à son regard qu'il ne comprenait pas vraiment ce que je voulais dire. Cela me conforta dans ma question, je poursuivis :

- Tu es plus du genre 5 étoiles ou petite guesthouse familiale ? Tu manges local ou dans des restaurants farangs ?

- Farang ? Me coupa-t-il.

Sa brève question me fit sourire.

- Farang ça veut dire au départ français, mais maintenant c'est étendu aux blancs, aux étrangers. Un restau farang va servir les mêmes plats que ce qu'on trouve en Europe. Je suis désolée, j'utilise ce mot depuis tellement longtemps, que je n'ai pas pensé qu'en France on ne l'utilisait pas.

- Pas de soucis ! Dit-il avec un petit sourire et quelque chose dans son regard avait changé, mais je ne pouvais pas définir ce que c'était.

- Je suis assez simple. J'aime le confort, surtout un bon matelas et une douche chaude. Pas un bac avec de l'eau en guise de douche. J'attends surtout du calme quand je suis à l'hôtel. Et pour les repas, c'est les deux. Ca dépend de mes envies. Souvent quand j'invite un client, on mange dans un restaurant européen.

J'acquiesçais d'un bref hochement de tête et le serveur revint avec nos commandes.

- Ne me dis pas que tu es végétarienne ? Me demanda-t-il en voyant ma salade composée.

- Non, dis-je en rigolant. Au contraire ! Je mange de tout, sauf que je viens de rentrer en France et mon corps doit se réhabituer à manger les plats d'ici, tu sais avec le beurre, les pattes aux œufs, la crème fraiche bien grasse...

- Ahah ! C'est vrai que c'est différent de l'Asie.

- Oui ma première semaine a été très difficile. Maintenant ça va mieux mais j'évite l'excès de gras ou les plats trop difficiles à digérer.

En voyant ma tête qui devait représenter toutes les douleurs intestinales que j'avais ressenties une semaine auparavant, il se moqua sans retenue.

- C'est pas drôle !

- Si, si ! Maintenant il était hilare.

Si on nous avait vu dans cette brasserie, on ne ressemblait plus du tout à un patron et son assistante, mais plus à de bons amis en train de partager un bon moment. Le reste du repas se passa dans la même dynamique. A ses côtés, je me sentais détendue, bien plus qu'à mon arrivée ce matin. Il m'expliqua quelques bourdes de mon prédécesseur, ce qui me fit rire aux éclats. On avait parlé un peu du Laos qu'il avait visité pendant des vacances. De mon côté, je lui avais expliqué le principe du visa run qui m'avait permis de bien connaître les postes d'immigration entre la Thaïlande et le Laos. Il m'écoutait avec grande attention. D'ailleurs, il était plus attentif à mes anecdotes de voyage que mes propres amis. Le reste du déjeuner se passa à merveille. Une fois le café terminé, il se leva pour payer.

Lorsqu'il revint à notre table, il me tendit la main pour m'aider à me lever. Sans réfléchir, je la pris. Sa peau était douce et chaude. Un petit courant électrique avait picoté la paume de ma main. Une fois debout, j'étais dangereusement près de lui. Assez pour sentir son parfum et la chaleur de son corps. Pendant quelques instants, nous restâmes à nous regarder droit dans les yeux, comme si le temps et le monde dans la brasserie n'existaient plus. Son regard était profond. Il y avait une étrange lueur dans ses yeux et moi, je crois que je souriais bêtement. Quand il reprit ses esprits, sa voix était d'une tonalité plus grave et il chuchotait presque :

- On va peut-être y aller maintenant ?

Sans répondre, je détournais mon regard du sien pour me diriger vers la sortie. Il me suivait de peu et je sentis sa main une nouvelle fois dans le creux de mes reins.Une fois dehors, il prit la parole :

- Merci beaucoup pour ce délicieux déjeuner. Je pense qu'on va se faire ça souvent ! Je te raccompagne au bureau, je dois prendre ma voiture.

- Ca marche.

- Tu veux une dernière blague avant de rentrer ?

Je ne m'attendais pas du tout à ça. Je tournais la tête vers lui pour l'inciter à continuer.

- Le serveur m'a dit qu'il était heureux de rencontrer enfin ma femme.

Il était mort de rire et entre deux ricanements il ajouta :

- Je n'ai pas osé le contredire, je lui ai donc dit que j'étais le plus heureux des hommes !

Je devais être rouge pivoine et surtout j'étais sans voix. Ce qui accentua encore plus son rire.

On était maintenant devant les portes de l'immeuble. En essayant de reprendre son sérieux, il ajouta :

- Ma voiture est un peu plus loin. J'essaye de repasser par le bureau ce soir après mes rendez-vous.

- Okay, ça marche. A ce soir ou à demain.


En entendant mes derniers mots, quelque chose dans son regard changea mais encore une fois, je ne savais l'expliquer. J'étais obligée de reconnaitre que j'espérais un peule revoir avant de terminer ma journée. On avait passé un si bon moment, alors que je ne m'y attendais pas du tout. Je n'avais pas envie que ça s'arrête. Je passais la porte vitrée de l'immeuble sans me retourner, j'avais quelques minutes devant moi pour me remettre les idées en place et reprendre mon rôle d'assistante au boulot ennuyeux.  

Entre deux volsWhere stories live. Discover now