Dopamine

Chapitre 5 : Mathématiques et Natation

- T'étais sérieuse pour ta moyenne de math ? me demande Eddie après quelques minutes.

- Je ne plaisante jamais avec les maths, je rétorque en riant.

Je l'entends soupirer dans l'obscurité.

- C'est bizarre, marmonne-t-il en jouant avec les pompons d'un coussin de ma mère.

- Quoi ?

- C'est la première fois qu'on se voit, et techniquement, on se voit même pas !

Je hausse les épaules.

- J'aime bien être dans le noir.

- Moi aussi. C'est moins intimidant. Je suis sur que t'es très intimidante comme fille, toi !

- C'est pas la première fois qu'on se voit. Enfin, moi en tout cas, c'est pas la première fois que je te vois, j'affirme en attrapant le saladier de pop corn

- Vraiment ?

- Tous les matins, je te vois sur ton vélo, quand je passe en bus. Avec ton gros sac de sport, ton sac de cours, et tes cheveux mouillés.

Il rigole.

- D'ailleurs, pourquoi est-ce que tu as les cheveux mouillés même quand il ne pleut pas ?

- Natation.

- Natation ? Le matin comme ça avant d'aller en cours ?

- J'y vais à peu près une dizaine de fois par semaine, affirme-t-il en haussant les épaules pendant que Max s'efforce de maîtriser l'imperator Furiosa sous les yeux horrifiés des épouses.

D'ailleurs, je me demande toujours comment est-ce qu'elle fait pour se battre aussi bien avec un bras en moins.

- Je fais des compétitions, se justifie-t-il en souriant.

- Carrément.

- Carrément.

Je le vois se passer la main dans les cheveux dans la pénombre. Je reporte mon attention sur l'écran, et il fait de même après s'être ouvert une canette de Mountain Dew.

- Quel genre de questions existentielles ? demande Eddie en reposant sa canette.

- Pardon ?

- Quel genre de questions existentielles tu te poses ?

Je soupire.

- Plein, sans arrêt, tous les jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre !

- Un exemple ?

- Les céréales avant le lait ou le lait avant les céréales ?

- Ouais. Bon. Une autre.

- Est-ce que les employés de Nespresso prennent des pauses café ?

Je le vois me dévisager.

- Pourquoi pas ?

- Je sais pas, moi ! j'explique en m'installant en tailleur sur le canapé. Peut-être qu'ils sont dégoûtés du café à force d'en vendre tous les jours et qu'au lieu des pauses café ils font des pauses chocolat chaud, thé, ou jus d'orange !

- Peut-être. Une autre !

- Est-ce que les grenouilles aussi doivent attendre une heure avant de retourner dans l'eau après avoir mangé ?

- Si elles mangent dans l'eau, il n'y a plus de problèmes !

- Pas faux.

- Moi j'en ai une. Que je me pose depuis tout petit, explique-t-il, un sourire dans la voix.

- Je suis toute ouïe.

- Pourquoi les super-héros portent des collants, et les juges des robes ?

- Mon Dieu... je soupire en riant.

- Hey ! C'est pas pire que ta question sur les grenouilles !

- Mouais... J'ai pas de réponse à celle-là non plus. Il va falloir la rajouter à la liste infinie des questions existentielles sans réponses auxquelles il faut trouver des réponses avant de mourir.

Eddie pouffe de rire dans le noir, et je ne peux m'empêcher de faire de même.

- C'est étrange, souffle-t-il ensuite. Dans le noir, j'ai l'impression que je peux tout te dire. J'ai l'impression que je te connais depuis toujours, et que je peux te faire confiance.

- C'est calme, le noir. C'est confortable, et agréable.

- Carrément.

- Carrément.

- Arrête de faire comme dans Nos étoiles contraires. C'est...

- Je l'ai pas lu, je rétorque en souriant.

- Moi non plus.

- Ok.

- Ok.

- C'est toi qui le fait, là, pas moi ! je m'insurge en manquant de faire tomber le saladier.

- Mais qu'est-ce que tu veux que je réponde ? Tu me dis ok, je vais pas te dire non ! Si ?

- Non. Mais même.

- Bon. Ça devient n'importe quoi. Il faut trouver un sujet sérieux ou on va finir par parler de Titanic et ça va t'énerver.

- Tu as faim ?

Il hausse les épaules tandis que j'allume la lampe du salon.

- Dis-moi un truc que tu veux manger, il y a une très forte probabilité qu'on l'ai, si t'es un ado normal ! je plaisante en me levant.

- Ah oui ?

- A ton avis ça sert à quoi tout ça ? je fais en désignant les spots lumineux éteints et la chaîne hi-fi.

- A faire la fête, rétorque Eddie en se levant pour me suivre. Sauf qu'on ne fait pas la fête.

- Exact.

J'ouvre le frigo.

- Des falafels ça te va ?

Eddie s'approche du frigo et pousse une exclamation de surprise.

- Ouahou ! Mais vous vivez à combien ici ? Y'a à manger pour tout un régiment !

- Je peux t'expliquer, mais d'abord, tu dois me promettre une chose...

- Qui est ?

- Ne me souhaite pas mon anniversaire, s'il te plaît !

Eddie me dévisage, perplexe, tandis que je lui explique l'enthousiasme démesuré de ma mère pour mes dix-sept ans, le coup des bières, de la vodka, et de la soirée.

- T'es bien la seule personne que je connaisse à détester fêter son anniversaire, marmonne-t-il en me regardant sortir le plat fumant de falafels du micro-onde. Et t'aime pas les cadeaux non plus ? Je ne peux pas croire un truc pareil.

- Je préfère offrir que recevoir.

- Mais... t'aime les cadeaux, quand même ? redemanda-t-il, l'air complètement perdu et horrifié.