Chapitre 4 : Titanic ou Mad Max

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J'ouvre lentement la porte en tâchant d'afficher le plus beau sourire que j'ai en réserve (les gens jugent toujours sur l'apparence, c'est la seule chose qui ont pour vous évaluer la première fois qu'ils vous voient). Sur le pas de la porte, je reconnais le gars au vélo. Il n'a pas les cheveux mouillés, cette fois. Il a les cheveux noirs courts et ébouriffés. Et il sourit. Il porte un pull noir simple et un blouson en cuir rouge, et tient un pack de cannettes de Mountain Dew dans la main droite. L'autre est glissée dans la poche de son blouson.

- Salut, lance-t-il avec un grand sourire. C'est ici la soirée film "Tout sauf Titanic" ?

- Peut-être bien, je réponds en souriant à mon tour. Tout dépend de ce que tu as amené !

Il brandit le pack de boissons en souriant.

- Est-ce que ça suffit ?

- Ça peut passer.

Il entre et retire sa veste, que je prends.

- Alors c'est quoi le programme ? il demande en posant le pack de sodas sur la table basse. Action, comédie, horreur ? Ou romance, puisque tu as l'air d'adorer ça !

Je lui fais la grimace et pénètre dans la cuisine pour faire des pop corn.

- Tu peux allumer la télé, et regarder ce que tu trouves dans le video store, je suggère en ouvrant la porte du micro-onde.

Quelques secondes plus tard, je l'entends proposer :

- Charlie et la chocolaterie ? Blade runner ?

- Mad Max ? je demande en attrapant un saladier gigantesque. 

Je me demande d'ailleurs pourquoi est-ce qu'on a un saladier aussi grand puisqu'on ne mange jamais une telle quantité de salade, même lorsqu'on est dix à la maison. J'en déduis que c'est pour y mettre des pop corns.

J'arrive pour m'affaler dans le canapé.

- T'étais sérieuse avant ? me demande-t-il en me donnant la télécommande. 

- Avant quoi ?

- Tu aimes vraiment Mad Max ?

- Pourquoi, tu n'aimes pas ? je rétorque en haussant les sourcils.

- J'adore ça ! s'exclame-t-il en sautant presque sur le canapé. Je les ai tous vu sauf le dernier !

Il me fait rire, à sautiller ainsi comme un enfant. Il est loin du garçon que je vois tous les matins et tous les soirs, avachit sur son vélo, aussi sérieux qu'un évêque prêchant sa paroisse.

- Alors va pour Fury Road !

On s'installe dans le canapé après avoir fermé les volets. Je jette un coup d'œil aux spots que mon père a monté, puis à la sono, et je pense aux bières dans le frigo, et aux fallafels, et même à la bouteille de vodka qu'elle est sans doute allé acheter aux aurores, ce matin.

- Tu savais que Charlize Theron avait été repérée par son agent dans une banque en Afrique du Sud pendant qu'elle faisait un scandale parce qu'on n'acceptait pas d'encaisser son chèque ? lança le garçon au vélo sans quitter des yeux l'imperator Furiosa qui était manifestement en train de se carapater avec toutes les épouses du grand méchant de l'histoire à bord d'un camion à essence.

Je pouffe de rire sans pouvoir le contrôler, et je sens qu'il me dévisage dans le noir.

- Arrête de te ficher de moi, j'essaye de dire un truc cool que personne ne sait pour t'impressionner là !

- C'est raté. Je le savais, je rétorque en riant.

- Pffff, soupire-t-il en avalant une poignée de pop corn. Alors même si je ne t'ai pas impressionné, j'ai le droit de connaître ton prénom ? Parce que c'est quand même déjà super bizarre de répondre à une invitation par post-it, alors en plus de ne pas savoir chez qui on va ! Je ne te dis pas comme j'ai galéré pour venir ! Ma grand-mère m'a demandé ton prénom, ton âge, ta taille, ton poids, ta moyenne en math, et la profession de tes parents !

- Felicity, dix-sept ans, un mètre soixante et onze, cinquante-neuf kilos, dix-neuf et demi, fleuriste et directeur commercial !

- Okay... marmonna-t-il avec un petit sourire en coin. Eddie, dix-sept ans, un mètre quatre-vingt trois, soixante-dix-sept kilos, seize vingt-cinq, retraitée ! Mes parents ont disparu en mer. Ils étaient biologistes marin. Un accident de plongée.

Je reste silencieuse, ne sachant pas quoi dire, puis lance après quelques secondes de réflexion :

- C'est pas une présentation, ça.

- On est d'accord. On recommence. A toi, m'intime Eddie en souriant.

- Felicity, 17 ans, zélatrice des maths et du Monopoly. Actuellement en quête de réponses à mes questions toutes plus existentielles les unes que les autres, et de la résolution des formes indéterminées en math. Ton tour, maintenant.

- Monopoly. Sérieusement ? répète-t-il en riant.

- A toi ! Et arrête de rire comme ça !

- Bon... Eddie, 17 anis, féru adepte de natation, de sciences  et de miracles. Actuellement à la recherche de l'explication du phénomène : le dauphin descend du chien.

- Quoi ? j'éclate de rire en entendant sa dernière phrase.

Eddie se tourne un peu plus vers moi et fronce les sourcils avant d'expliquer :

- On a étudié les squelettes des dauphins et des chiens, et figure-toi qu'il s'avère qu'ils ont exactement la même ossature, à l'exception de quelques modifications.

- Tu veux dire qu'un jour, un chien a sauté dans l'eau et s'est dit un truc du genre :  « Ahhh c'est génial ici, je vais rester là dedans ! ». Ensuite une chienne l'a rejoins parce qu'il lui a sans doute dit que « allez viens, c'est génial, ici ! C'est de l'eau qui mouille mais c'est trop bien », et ils ont copulé ensemble deux ou trois fois parce qu'au départ les bébés ne survivaient pas, et après, ils ont donné naissance à des bébés chiots tous nus avec des nageoires en guise de pattes ?

- Exact, confirma-t-il avec un sourire béat.

- Ridicule.

- Eh oui. Mais je suis sûr qu'il y a un lien. Ça ne s'est sans doute pas passé comme ça, mais il doit y avait quelque chose du genre !

- ...

-... mais ce qui est sûr, c'est que t'es géniale !

- J'ai encore rien fait !

- Tu me refais ta petite histoire ? Elle était géniale !

- Dans tes rêves, Eddie, je souffle en enfournant une poignée de popcorn avant de reporter mon attention sur le film.

Et à partir de ce jour, le garçon au vélo a pris le nom d'Eddie.

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