Les éférides Tome 1 L'aube d'une destinée

09 - 1 Choix de vie Partie 3

Tout était fin prêt pour la cérémonie du choix de vie. Les dévotions avaient été accomplies et les villageois se dirigeaient dorénavant vers le lieu où le spectacle devait se dérouler. Chacun s'était mis sur son trente-et-un et tout ce beau monde commençait à prendre place sur les gradins faisant face à l'authentique estrade.

Cette dernière était la même depuis plusieurs siècles, fabriquée dans un bois noble et rare, la fresque qui en marquait le contour n'avait pas vieilli d'une ride. On y voyait le Grand Dragon s'occupant symboliquement de ses enfants et réalisant ses grands exploits passés. Il avait fallu une journée entière pour en monter les planches à l'orée de la forêt, son emplacement coutumier.

M.Minaloc arriva affolé et se fraya un chemin jusqu'à Néméris.

–Ma fille est partie, il faut tout annuler !

–Comment ça partie ? Elle ne peut pas partir, c'est notre dernière jeune de dix-sept ans, réprouva le maître.

–Une de mes servantes m'a fait un rapport ce matin, dit le gouvernant d'une voix pressante. Elle était levée aux aurores et a surpris Leïna en compagnie de deux hommes dans le jardin. Des hommes très bien habillés, ils avaient l'air de personnages importants,m'a-t-elle confié. Elle a juste eu le temps d'entendre la fin de la conversation mais elle m'a assuré qu'ils offraient à ma fille un poste de prestige et pour cela, ils lui ont proposé de partir avec eux pour le Sommet. J'aurais aimé l'apprendre par moi même, c'est un grand honneur pour la famille. C'est vrai que j'aurais aimé que Leïna prenne ma place mais : un poste au Sommet ! Vous vous rendez compte Néméris, c'est fabuleux !

Le saint homme avait écouté l'histoire sans broncher, il resta dubitatif un instant avant de s'exprimer.

–Mes félicitations M. Minaloc. C'est une bonne mais terrible nouvelle.... Des représentants ont fait la route jusqu'à Ilanda,comme pour chaque choix de vie. On ne peut se permettre d'annuler la cérémonie, les retombées seraient catastrophiques pour notre petit village.

Néméris se prit le menton entre les doigts, s'excusa auprès du gouvernant et s'éloigna, pensif, au cœur de la foule qui continuait d'affluer.

Tout le monde était à présent installé. Les inestimables représentants disposaient d'une loge spéciale au premier rang,  bien plus majestueuse que celles qui avaient été mises en place pour les quelques familles fortunées et personnages importants d'Ilanda.

Beren prit place aux côtés de sa femme. Mme Minaloc avait prit soin de s'asseoir le plus loin possible du chef des gardes nocturnes afin de ne pas être confrontée de suite à celui-ci. Et pour cause, dans le plus grand secret le couple avait promis leur fille à cet homme,dès qu'elle atteindrait l'âge adulte et fait son choix de vie.

Il y avait déjà six ans de cela, le pas très beau mais captivant Wen avait sonné à leur porte. Après invitation, il était humblement entré dans la demeure et avait expliqué aux gouvernants sa présence inattendue en cette journée : il vouait un amour sincère et sans limite pour Leïna. L'annonce avait fait un choc aux parents. Aline Minaloc avait alors gentiment rappelé à l'homme, l'important écart d'âge entre eux : leur fille entrait à peine dans l'adolescence. Sous un déluge de belles paroles mêlées à un poignant discours, Wen avait déclaré que le temps n'était pas un obstacle, qu'il était prêt à patienter une décennie s'il le fallait, qu'il promettait de veiller sur leur fille en attendant de voir accomplir son espérance, qu'il préférait subir mille morts que d'envisager un futur dépourvu de la lumière de ses magnifiques yeux lilas...

Les Minaloc avaient patiemment écouté l'appel du jeune homme qui se tenait devant eux. Il était vrai que même si elle était encore très jeune, la beauté de Leïna faisait déjà battre bien des cœurs. Les prétendants étaient nombreux et ce n'était pas la première fois que l'un d'entre eux frappait à leur porte pour tenter une demande aussi folle que celle du garde. Le couple s'était échangé un regard. Wen était réputé pour être admirable et aider sans mesure quiconque était dans le besoin sans jamais rien demander en retour. Si Leïna prenait la suite de la famille, il ferait un excellent gouvernant pour Ilanda. Après une infime lueur d'hésitation, les Minaloc avaient cédé et promis de lui réserver la main de leur fille à condition que celui-ci attende que Leïna atteigne l'âge adulte et qu'il soit toujours seul d'ici là. Le jeune homme avait accepté la proposition avec gratitude puis avait quitté l'impressionnante demeure, apaisé et le cœur léger.

Ce jour qui paraissait alors si lointain était finalement arrivé. Au bout de la rangée, tout à droite des Minaloc, Wen était assis,accompagné de son fidèle chien. Il ne quittait pas la scène des yeux. Dès que Leïna y poserait les pieds, le temps serait venu pour lui de rappeler leur promesse aux Minaloc. Il avait tenu son engagement et c'était désormais à eux de faire de même. Qu'elle le veuille ou non, Leïna s'unirait à lui.