Tragnar

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Dans une grande forêt sombre, Tragnar, Mordian ainsi que deux francs-coureurs avançaient lentement dans l'ombre. Mordian, le nouveau du groupe, murmura d'une voix peureuse : « Je ne pense pas qu'ils sont là, partons d'ici, vite ! » Tragnar lui flanqua un coup dans les côtes. « Imbécile ! Ils ne vont pas se montrer à découvert devant un bon feu ! Ils sont plus futés que toi ! »

Tragnar se mit à penser à sa vie.
Il était dans sa jeunesse, un fils de paysan, qui n'avait aucune richesse, mise à part son blé et son maïs.
Son père étant mort quand il était bébé, c'est sa mère qui l'avait élevé. Sa seule destinée était de reprendre la ferme, pour les faire survivre, sa mère et lui. Mais le rêve de ce jeune fermier était de devenir un chevalier, qu'on parle de lui dans les chansons, qu'il serve le roi.
Sa mère lui répétait sans cesse : « Quand tu seras assez riche avec la ferme, tu pourras t'acheter un cheval, et alors là, tu seras un chevalier, mon chevalier ».
Depuis ce jour, Tragnar avait travaillé dur, mais son jeune âge ne l'aidait pas dans les récoltes. Il n'avait que neuf ans, et il était sûr de mourir avant d'être un homme fait.
Finalement, un jour, il compta sa somme, cent écus, amassé depuis dix ans sans dépenser beaucoup. La somme pour s'acheter un bon cheval. Il allait crier la nouvelle à sa mère, quand il la découvrit couchée sur son lit, le front en sueur. La fièvre l'avait rattrapée.
Elle ne tarda pas à succomber de son mal, et Tragnar se retrouva brisé.
Dans sa rage, il s'acheta un cheval, et galopa vers kingdomsea, le château le plus proche de chez lui.
Il avait alors commencé sa formation, et il fut pris, en raison de ses résultats brillants.
Il avait gagné un titre de chevalier, on l'appelait désormais ser Tragnar.
Son service dura trois ans, il avait alors vingt-deux ans quand son cheval mourut dans une bataille. Il s'était attaché à ce cheval, qui avait été toutes ses économies.
Alors, il pleura à chaudes larmes, et essaya de se rappeler du visage de sa mère. Il ne se souvenait que vaguement de ses traits. Un matin, il alla demander au roi en personne s'il pouvait avoir un nouveau cheval. Ses amis lui avaient pourtant dit que c'était de la folie, que le roi, lui rirait au nez. Mais finalement, le seigneur de kingdomsea, Sire Vigou, accepta.
En attendant son nouveau destrier, il accepta de partir dans une expédition à la recherche des morts qui reviennent sous le commandement d'un roi de l'ombre. Il savait que c'était risqué, mais il s'élança tout de même.
Revenant subitement à la réalité, il s'aperçut que Mordian était en sueur, et l'odeur de l'urine empesta ses narines. Soudain, un gros craquement retentit, une branche s'écroula devant eux, un cadavre accroché au bois pourri avec des lianes. Les quatre hommes étouffèrent un juron, et s'approchèrent doucement du mort. Tragnar sortit son épée, tata le cadavre, mais rien ne se produisit. « Y s'passe rien ! » constata Mordian, comme à son habitude de remarquer les choses inutiles. Un franc coureur prit sa hache, frappa l'arbre de toutes ses forces. L'arme resta planté dans le tronc, mais des dizaines de cadavres tombèrent, ayant subi le même sort que leur camarade. L'ainé, Tragnar, s'approcha de la plus grosse forme, l'empoigna par le col, la souleva de sorte à rapprocher son visage du sien. « C'est ce qu'on cherche... »
Soudain, le mort ouvrit une bouche édentée, cria d'un rire strident, faisant sursauter l'ainé, qui lâcha le cadavre. Toutes les formes se démenaient pour se libérer, et elles y arrivèrent. La première fonça sur un franc coureur, qui fit valser sa tête. Les autres criaient, attaquaient, mordaient la petite troupe. Un cadavre prit le torse d'un franc coureur et l'arracha. Mordian s'élança d'un geste courageux, contrairement à son habitude, et transperça le thorax du plus gros monstre. L'épée, quand elle entra en contact avec la bête, se désintégra en flammèches noires. La victime, étonnée, se laissa transpercer la tête. Tragnar cria de peur et de rage puis sortit son arc, tira une flèche dans l'œil d'un monstre. La flèche ne se désintégra pas, elle resta plantée dans l'œil, ce qui ne dérangea pas le mort. Ne restant plus que Tragnar et un franc coureur, il vit un monstre prendre l'épée d'un cadavre et la pointer sur lui. Tragnar courut à travers les fourrés, les branchages et l'odeur du sang, et perdit son camarade. Tant pis, cela occupera les morts. Pendant de longues minutes, il ne s'arrêta pas, jusqu'à ce qu'il reprenne son souffle. Il se reposait quand il entendit un craquement derrière lui. Il porta la main à la garde de son épée, et attendit. Un nouveau craquement, puis un deuxième, et soudain, le franc coureur qui s'était perdu apparut. Il dit :
- J'ai réussi à le semer ! Le gros me poursuivait !
- Quoi ?! Mais tu vas les attirer ici !
- Mais non, je les ai semés, je t'ai dit !
Soudain, un autre craquement se fit entendre, et la bête surgit d'un bosquet. Elle égorgea le franc coureur, puis jeta sa tête sur Tragnar. Ce dernier poussa un cri d'horreur, et courut comme il ne l'avait jamais fait. Il courait, se baissait pour éviter les arbres, courait, trébuchait a quelques racines, puis se relevait à chaque fois, déchirant son manteau dans les ronces. Il entendit des grognements, puis déboucha dans une clairière. Ici, il s'arrêta, se retourna et vit l'énorme monstre qui le suivait. Quand ce dernier parvint a le rejoindre, il poussa un hurlement suraigu. Ses jambes s'ancrèrent petit a petit sans le sole, formant de grosses racines. Ses mains devinrent plus longues et son torse se recouvrit de brindilles et de branches noires entremêlées. Tous les monstres ne vinrent pas. Ils restèrent a couvert, tout en regardant leur compère se métamorphoser. Ils épiaient Tragnar. Le jeune homme, estomaqué, se remit à courir.

La prison des ténèbresحيث تعيش القصص. اكتشف الآن