Chapitre 2.1

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Huit mois plus tôt.


Lynlee sortait dans la rue, se mêlant à une foule éparse. La chaleur du soleil, nourrie par l'éclat pâle des façades de Narranda brûlait sa peau presque bleutée, malgré son ombrelle bordée de dentelle.

La jeune draïgane sautillait, enjouée par cette journée qui s'annonçait prometteuse. Elle chantonnait un air populaire qu'elle avait entendu dans un faubourg de Shalliath, la semaine précédente.

Cela faisait quelques jours qu'elle était de retour mais l'allure sévère et calculée des gardes royaux continuait de l'angoisser.

Elle avait toujours préféré la ville de Narranda.

Elle vivait dans un de ces plus beaux quartiers, dans l'une des structures adossées aux antiques tours blanches, qui surplombaient la ville basse. La jeune draïgane regardait du coin de l'œil ses rideaux de brocard voiler le cadre de son quotidien.

Une lueur tremblait, vacillait derrière le tissu aux teintes pastelles.

Lynlee jura. Elle avait oublié de souffler la bougie.

Après une courte hésitation, elle poursuivit son chemin d'un pas léger, inconsciente de la flamme presque noyée dans la cire chaude. Elle ne choisissait jamais de revenir sur ses pas, trop d'éléments l'attendaient devant elle.

Elle laissa ses doigts sentir l'âpreté de la pierre, du lierre grimpant sur le front d'une boutique, du bois sur une habitation en colombage, ou bien du cuivre d'un portail ouvragé. Au bout de quelques minutes, sa peau la picota et elle s'amusa de cette sensation familière, qui permettait à toutes les matières de lui chuchoter leurs histoires.

La jeune draïgane écoutait inhabituellement les contes de la métropole. Elle ignorait d'ordinaire les paroles de la pierre car tous ces éléments bavards l'ennuyaient et elle avait déjà beaucoup à faire avec les peintures urbaines et les sons.

Elle aimait la musique des vies, qu'il s'agisse de la rumeur d'une rivière cajolant quelques rochers, ou bien de l'animation au coin d'une ruelle. Elle adorait le rythme des pas, les tonalités d'une conversation, le chant des quelques oiseaux ou encore le tintement des grandes cloches qui ornent les anciens temple d'Ostérion, dieu du soleil, et d'Eladriel, déesse de l'Harmonie.

Lynlee chantait le monde, frustrée de n'avoir que sa voix pure comme instrument.

Les images passées continuaient de transiter dans son esprit distrait et la jeune draïgane captait le souvenir d'un objet avant de le laisser s'étioler face à la réminiscence des clameurs populaires, ayant fait déborder les avenues de haines, dix ans plus tôt. Une année difficile où le climat social s'était enflammé avec la folie de Séfirin. Le tyran avait augmenté les taxes au bénéfice de sa cour qu'il s'efforçait de charmer. Puis les cris à jamais retenus dans la roche cédèrent la place à une silhouette assise sur la pierre, distante.

Lynlee s'approcha, surprise de trouver sur le trottoir un visage inconnu. La jeune draïgane était pourtant très observatrice. Elle était certaine de ne pas reconnaître ce regard agressif. La fille avait des cheveux bruns, ébouriffés, et semblait d'une humeur massacrante. Elle n'avait rien à voir avec les mendiants qui entonnaient d'une voix monotone et d'un œil vide leur pitoyable situation, espérant par cette misère glaner quelques pièces. Non, cette fille était juste en colère et paraissait prête à bondir sur la première personne qui l'aborderait malgré son apparente détresse.

Cependant, la jeune draïgane n'était pas impressionnée. Elle était très jeune mais avait fréquenté les plus grands notoires de Narranda, de Shalliath et même de Dixis, dans le désert d'Onyagya, à l'est du royaume des hommes. Cette petite fille à l'allure chétive ne l'effrayait pas plus que ça. Elle s'agenouilla près d'elle, sa robe sombre effleurant le sol en un cercle parfait dont elle était le centre.

Rondes d'AshirelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant