Chapitre 1.2

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Le lyugan retourna jusqu'à la côte, poursuivi mollement par les remous menaçants. Il tremblait de savoir ce qui allait lui arriver maintenant qu'il avait commis l'irréparable. Il tira son embarcation sur le sable et prit la fille sur son dos avant de monter les marches. Isolé dans ses terres, il vivait des ressources de la mer et de la forêt. Cependant, il savait prendre soin des êtres, peu importe le temps passé loin d'eux. L'Immortel allongea le corps frigorifié sur son matelas, le débarrassa de ses vêtements trempés et prit le temps de l'observer. La fille n'avait que quelques contusions, vieilles de plusieurs jours déjà. Il se contenta donc de la couvrir avec ses plus chaudes couvertures avant de s'éloigner pour chercher de quoi la nourrir à son réveil. Il s'assura que sa cuisine abritait plusieurs feuilles de cassis et d'orties séchées, nécessaires à la préparation d'une infusion capable d'apaiser son corps courbaturé, avant de partir avec un long couteau qu'il glissa à sa taille.

Sa marche jusqu'au seuil de la forêt ne dura que quelques minutes. L'Immortel s'engagea entre les rochers, enjambant les troncs gisants sur le côté et esquivant les recoins boueux. Les pluies diluviennes s'évertuaient à rendre les bois dangereux mais le lyugan connaissait chaque feuilles. Il se laissait envahir par le concert des passereaux de toute espèce. Des pinsons des arbres, des étourneaux sansonnets  ou bien des mésanges. Puis les engoulevents, les coucous et les tourterelles des bois qui concurrençaient jalousement l'espace sonore. Loin des oiseaux, il pouvait percevoir les animaux qui grattaient l'humus et les feuilles mortes, camouflés par les herbes hautes. Il remarquait comme à l'accoutumée l'émotion de chaque être. Tous s'organisait, fouillant pour assouvir sa faim ou celle de sa communauté. L'Immortel suivit mentalement une fourmi s'éloignant jusqu'aux confins de la connaissance de sa colonie. Peut être ne reviendra t-elle jamais mais son avancée n'en était aucunement ralentie.

Le lyugan se baissa vers ses différents pièges pour récolter d'éventuels malchanceux, mais dû s'enfoncer un peu plus dans les bois pour ne pas rentrer bredouille. Il aurait apprécié récupérer un lapin ou un lièvre. Les sens au aguets, il cherchait un mammifère derrière la « respiration » grave et régulière des grands arbres. Il débusqua dans cette lenteur omniprésente, un battement chaud et plus rapide. 

Un jeune daim.

Beaucoup trop de viande pour lui seul, même accompagné de cette gamine qu'il savait affamée. Il s'approcha néanmoins et scruta le cervidé sans se découvrir.

Personne ne pouvait le voir tandis qu'il progressait ainsi dans l'obscurité. Son corps s'était fondu dans le paysage. Sa peau changeait de couleur comme un caméléon tandis qu'il progressait avec l'assurance d'un prédateur.

Personne ne pouvait l'entendre car il foulait la terre aussi légèrement que les animaux dissimulés par les ronces.

Personne ne pouvait sentir sa présence car tout son être appartenait à cette forêt qui l'embaumait de ses parfums.

La bête était devant lui, belle et inconsciente de sa mort à venir. Elle ne sentait aucune hostilité chez l'Immortel qui n'était que délicatesse. Le lyugan focalisa son esprit sur ses mains et des filets diaphanes émergèrent de ses doigts. Il avait simplement pris le contrôle de cette lumière estivale pour la concentrer en boules lumineuses qui s'envolèrent autour de lui. Le cervidé leva sa tête fine et s'avança, hypnotisé par leur douceur. Il s'approcha avec grâce. Le lyugan fit le chemin inverse, suivit par le pas agile du daim. Quand il arriva à l'orée de la forêt, la bête tapa du pied et il comprit qu'elle ne le suivrait pas plus loin. Il se tourna alors vers l'animal qui le fixait de ses yeux noisettes. Quand sa tête arriva près de la main du lyugan, le daim s'endormit sans crainte. L'immortel se baissa et lui trancha la gorge. La bête eut un sursaut, ouvrit des yeux surpris et affolés mais s'éteignit sans plus de bruit.

Le lyugan passa le cervidé sur son dos et s'éloigna, plié sous le poids qui le faisait chanceler. Il ne tint qu'une vingtaine de mètres avant de le laisser tomber sur le sol, essoufflé. Il ramena un chariot de la grange masquée par l'ombre de la tour, emmena le cadavre pour le dépecer, et récupéra toute la viande qu'il savait tendre et saine. Il effectuerait plus tard un salage pour une meilleure conservation. 

Il alluma un feu et se laissa tomber, épuisé, regardant les flammes danser et les étincelles crépiter. Là-haut, il perçut que l'étrangère avait repris conscience mais restait confuse. Il s'interdit de céder au sommeil, se releva pour faire bouillir l'eau et les herbes, prépara la décoction. Une fois chose faite, il partit à la rencontre de son invitée.    

Rondes d'AshirelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant