Chapitre 9: Les blessures du passé

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Elle ne voyait rien, mais elle respirait. L'eau était fraîche sur sa peau, la morsure glaciale du début s'était atténuée. Elle avait passé la porte du mystère, et attendit, silencieusement, des filets de bulles argentés s'échappant de ses lèvres.

Puis, Asthrée eut l'une de ses pensées déraisonnables qui nous frappent parfois l'esprit lorsque l'on est en pleine action. Et si Lauréleï lui avait menti? Après tout, accepter de poser des gestes dictés par une inconnue n'est jamais prudent, même quand elle semble bienveillante...

Mais, lentement, elle voyait des images surgir devant ses yeux, dans la pénombre des eaux du lac. Puis une voix qui lui parlait.

Asthrée? Tu es là? Je t'attendais depuis longtemps...

Une forme floue, luminescente, s'approchait d'elle lentement. Curieusement, la jeune femme ne pensa pas à fuir vers la surface, fascinée. Elle avait le sentiment étrange de connaitre cette voix, aussi bien qu'elle connaissait la sienne. Elle se détendit, la méfiance s'évaporant.

La lumière se matérialisa en une forme humaine, indistincte, mais bien présente. Le murmure recommença, lointain, évocateur.

Alors, tu es venue. Tu as fait le bon choix, celui de tourner le dos à ton père. C'était très courageux... Mais pourtant... malgré ta rébellion, je sens encore de la haine en toi. Lazlac Ketchika a planté une épine dans ton cœur, et son poison te tuera si tu ne la retire pas tout de suite.

La jeune femme se figea. Elle savait très bien de quoi voulait parler la voix... Kaïlan avait tué sa mère, dans quelles circonstances, elle ne le savait pas mais les faits demeuraient. Enfin... les faits... on ne pouvait pas faire confiance à Lazlac, mais... il était tellement plus facile de croire. De ne pas penser à d'autres choix, seulement de croire aveuglément sans chercher à confronter le destin.

La voix reprit, alors qu' Asthrée se taisait, dans le silence limpide des eaux.

Vaincre ta haine n'est pas facile, mais tu dois y arriver.

Tout bascula d'un seul coup. L'eau, la fraîcheur des courants et la lumière blanche, la louve sentit un air sec et brûlant lui piquer la gorge et les yeux et un désert faire place au fond du lac. Était-ce une vision? Un présage?

Tout ce qu'elle savait, c'était qu'un profond silence régnait. Elle regarda autour d'elle, confuse. Asthrée était persuadée que ce qui se passait n'était pas réel, ce n'était probablement qu'un reflet, comme l'avait dit Lauréleï. Les Lords, comme de nombreux autres êtres divins, possédaient le pouvoir d'influencer les esprits.

Mais tout cela n'en restait pas moins angoissant. La nuit avait place au jour devant ses yeux en l'espace de quelques secondes, et elle était complètement perdue. Elle ne connaissait pas cet endroit. Qu'est-ce que la voix voulait lui signifier? Cela n'avait aucun sens...

Asthrée entendit soudain une voix derrière elle. Un faible murmure à peine audible dans les sifflements du vent déchaîné.

-Il faut... les sauver... vite!

Elle se retourna, pour se retrouver face à une silhouette encapuchonnée. Mais le son de la voix lui semblait familier. Une mèche blonde lui cachait les yeux et il était blessé à la poitrine... Elle reconnu cette blessure. Dragar Verka se tenait devant elle, en une silhouette pâle et effacé, comme un fantôme revenant des morts... Avait-il été tué dans l'attaque? 

-Asthrée...  Si je ne reviens pas, s'il te plait, prend soin d'Eirenn et du seigneur Ketchika... Je n'ai plus le temps...

-Attends! Que dois-je faire? Je...

L'espace s'obscurcit et il disparu dans le néant. Asthrée se retrouva seule... complètement seule... elle avait mal à la tête. Où était-elle, déjà? Ah, oui! Le portail du mystère... tout ceci n'était qu'une illusion, évidemment! Dragar était en sécurité... Il le fallait. Oui, tout se passerait bien!

La jeune femme ferma les yeux. Elle se sentait mal tout d'un coup, comme si son énergie était lentement drainée... Elle était la fille de Lazlac Ketchika, elle était une loup-garou, elle qui avait toujours cru être une créature de l'ombre... Personne ne l'avait jamais aimée.

C'est avec cette pensée qu'elle perdit connaissance, ressentant à peine qu'elle remontait vers la surface. Elle voulait aider Dragar, Kaïlan et Eirenn... Elle le devait, à tout prix!

***

Un souffle, un halètement. Un froid étrange au cœur. Deux verts et tristes au fond des siens. Kaïlan Langera se sentait comme dans un rêve; il percevait vaguement des doigts qui parcouraient son visage et son cou, et parfois, les pleurs étouffés d'une femme. Elle lui parlait avec douceur. Mais il ne pouvait pas répondre, la fatigue l'assommait, et une lumière crue lui blessait les yeux quand il tentait de les ouvrir. Finalement, il fit un dernier effort, et se releva d'un coup.

-Chuuut...Du calme, tout va bien.

Il reposait dans un grand lit aux draps lourds et chauds. La chambre était vaste, et de jolies boiseries l'ornaient. Une douleur implacable lui brûlait la poitrine, et Kaïlan soupira en gémissant, se recouchant péniblement. Il plongea son regard dans celui d'Eirenn, souffrant et désorienté.

-Tu... n'est pas blessée?

-Non, je n'ai rien. Les Lords nous ont sauvés. Personne ne m'as fait de mal, tout s'est bien passé...

Le seigneur Langera se détendit. La main fraîche de son amour lui caressait les cheveux et le front, et la panique qui l'avait saisi lors de l'attaque avait disparu. Heureusement que Dragar avait été là... Il avait sauvé sa vie, encore une fois, et celle d'Eirenn du même coup...

Il réalisa soudain quelque chose et se redressa, demandant d'une voix pressante:

-Eirenn! Où est-il?

La jeune femme ferma les yeux pour masquer son regard douloureux.

-Dragar... n'est... pas aussi bien que toi, mais...

-Où l'ont-il emmené?

Il avait parlé avec autorité, et la jeune femme regarda ailleurs, troublée. Il s'en aperçut et se radoucit.

-Eirenn, je... je m'inquiète beaucoup. Il est le seul à m'être resté fidèle dans ce complot, et... tu comprends? Je dois le  voir maintenant.

Elle hocha la tête, et l'aida à se relever. Le tenant pour l'empêcher de tomber,  elle l'entendit tout même étouffer un cri alors qu'ils  s'avançaient vers la chambre d'à côté. Elle serra les dents et ne montra pas sa tristesse, sachant que Kaïlan allait avoir besoin de toute sa présence d'esprit pour faire face au choc qui l'attendait.

Jusqu'au dernier souffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant