Tea & Coffee : La Créature de Blackstone Abbey (livre II)

Épilogue

Lundi 23 Avril 1894

Et c'est ainsi qu'une autre cicatrice vint marquer la peau de Célia. Svetlana lui avait bien amochée le cou, mais Gordy l'avait sauvée à temps, elle n'en mourrait pas. En revanche elle n'allait pas bien pour autant. Lorsqu'on la conduit à l'hôpital, la veille, son état avait l'air plus préoccupant que ce qu'il n'était vraiment, certainement dû au fait qu'elle avait plus subi de séquelles psychologiques que physiques. Pourtant elle dormit une bonne partie de la journée et ne fut pas réveillée par les médecins ou le personnel hospitalier lorsqu'on vint l'examiner.

Vers quatre heures de l'après-midi, enfin, elle ouvrit les yeux et se retrouva nez-à-nez avec Oscar, qui lisait le journal sur le fauteuil des visiteurs. Il n'avait pas l'air d'avoir beaucoup dormi, il avait une mine horrible. Il faut dire qu'il n'avait pas dormi depuis quarante-huit heures et que cela se voyait donc assez nettement. Ses yeux étaient injectés de sang, ses cheveux encore plus décoiffés que l'habitude et des poches sombres pendaient sous ses orbites. Il était inquiet et Célia ne put se retenir de trouver cela touchant.

Elle s'assit sur le lit et Oscar vit enfin qu'elle n'était plus dans les bras de Morphée. Au même moment, il referma son journal et le posa par terre. Puis, il se leva et s'assit à son tour à côté d'elle. Lentement et dès qu'il fut posé, Célia, dans la robe de coton écrue que lui avaient donnée les infirmières, déposa sa tête sur son épaule et referma les yeux. Aucun d'entre eux ne dit le moindre mot. Parfois, le silence en disait bien plus que les paroles, en tout cas, c'est ce qu'Oscar pensa à ce moment. Il ne savait pas comment lui dire « pardon » et qu'il était navré qu'elle soit à nouveau blessée à cause de sa propre erreur. Néanmoins Célia l'avait bien compris et elle ne lui en voulait pas. Pourtant, elle se posa toujours la même question. Qu'est-ce qu'il s'était vraiment passé à Blackstone Abbey ? Et, surtout, pourquoi ? Le bel homme n'avait pas de réponse à cela, sinon il le lui aurait bien vite dit, alors elle ne voulut pas en ajouter une couche.

« Comment va Gordy ? demanda-telle enfin d'une petite voix.

- Ça ira. Les médecins ont dit que le couteau n'avait pas percé d'organe vital, juste sa graisse. Ils ont tout de même peur que la plaie s'infecte, il faudra donc faire très attention. »

Célia acquiesça en se frottant contre son manteau et referma les paupières.

« Juste avant de mourir, continua-t-elle, Svetlana m'a dit qu'elle voulais, je cite, « faire partie de mon empire ». Je dois avouer que je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle avait voulu dire par là.

- Hé bien je dois avouer que je ne le sais pas non plus. Mais sois patiente, je le découvrirai bien un jour ou l'autre.

- Et Emma ? »

Oscar secoua la tête.

« Elle ne parle toujours pas et je pense qu'elle ne parlera jamais. Tout ce que je peux te dire, c'est que Svetlana l'a mise enceinte. »

Elle eut un rire nerveux et décolla ses cheveux des habits de son ami pour enfouir sa tête bien au fond de l'oreiller et se mit à pleurer discrètement en repensant à la scène de la veille, des dents atroces de Svetlana et de son corps étrange collé au sien.

« Tout ce sang… dit-elle en se frottant les yeux. Et pour quoi ? Pour rien ! »

En contemplant Célia qui se morfondait sur son oreiller, Oscar du s'avouer qu'il s'agissait d'une des rares fois où il vit la jeune pleurer. Non pas que ce soit mal placé, or il ne savait pas très bien s'y prendre avec les femmes qui pleuraient. D'habitude, il avait juste tendance à coucher avec elles, ce qu'il ne ferait certainement pas avec Célia, surtout dans un lieu tel que l'hôpital Saint Thomas et ses odeurs de naphtaline dans les armoires, mêlées au fort parfum d'opium.