— C'est... la Chanteuse de Loss ?

— Oui, Baurius. Ça va aller, toi et le gosse ?

Le gosse en question avait sa fierté. Beringil répondit d'une voix pâteuse :

— Je peux tenir debout, ça va !

Son ainé le soutenait et le secoua un brin :

— T'iras pas loin tout seul si on n t'aide pas ! On va aller te trouver de l'eau, le temps que tu récupères.

— Ne le lâche pas, rajouta Eïm. Moi je vais ramasser les survivants et la Chanteuse. Je m'attends aux ennuis.

— Dès que le gosse est en sureté, je viens à la rescousse !

***

Tout le monde s'était jeté au sol au cri de Sonia. Si certains avaient obéi à l'ordre, pour les autres, il s'agissait surtout d'un réflexe de survie. La presque entièreté de la façade venait de se disloquer et une bonne partie de la charpente menaçait de s'effondrer en emportant ce qui restait du toit. Que la taverne et le reste des bâtiments résistent encore semblait tenir du miracle ; mais les constructions, dans le sud-Ouest de l'Etéocle, étaient pensées pour résister aux séismes et faisaient preuve d'une robustesse remarquable au risque d'éboulement. Par contre, cela impliquait que le bois y était privilégié pour les structures internes et les étages ; le feu pouvait alors s'adonner à ses ravages à cœur joie.

L'incendie ne faisait, en tout cas pour un temps, pas le poids devant le pouvoir d'une Chanteuse de Loss. Sonia la fixait, admirative et ravie. Elle en aurait même exulté de fierté ; c'était son œuvre et ce n'était que le début de ce que Lisa serait capable d'accomplir. Mais dans l'immédiat, ni elle, ni personne n'était encore tiré d'affaire. Azur la devança sur cette réflexion :

— Vite, il faut sortir avant que tout ne s'effondre !

La tenancière en rajouta de sa voix de stentor :

— Allez secouez-vous et portez les blessés, on y est presque !

Azur attrapa d'une main le jeune esclave des glacières qui pleurait de terreur, aveuglé par la fumée. Elle ne lâcha pas de son bras libre le lori de Lisa qui dressait ses immenses oreilles vers la silhouette à l'entrée de la taverne, reconnaissait de toute évidence sa maitresse. La psyké, en s'élançant la première donna aux autres survivants le signal de courir vers leur salut. Sonia la talonna sans un regard en arrière : si, parmi les survivants, certains ne devaient pas fuir à temps et finir dans les flammes, elle n'en avait strictement rien à faire.

Lisa fut surprise de réaliser qu'elle souffrait. La dernière fois qu'elle avait Chanté en donnant toute sa voix pour arrêter la charge des émeutiers contre les réfugiés d'Erasthiren, elle n'avait pas eu le temps de ressentir les effets de l'épuisement ; elle avait usé toutes ses forces en une seule fois. Mais ici, c'était fort différent : elle réalisa qu'une partie de ses sens cherchait du loss-métal à proximité, le lui réclamant désespérément. Il n'y en avait pas assez à résonner avec elle et c'était, en retour, son propre corps qui brûlait pour compenser ce manque. Et cela faisait mal : une souffrance comparable à de brutales crampes se répandant d'un muscle à l'autre, jusqu'à devenir une tension insoutenable lui déchirant le diaphragme et les abdominaux. Lisa avait appris avec Orchys que l'absence de loss-métal condamnait un Chanteur de Loss au silence. Il fallait qu'il se trouve au moins un petit peu du précieux minerai pour soutenir le Chant et pouvoir entrer en résonnance avec lui. Mais cela ne constituait qu'une explication empirique : Lisa ignorait quel était le minimum requis et comment en être consciente. Elle le découvrait de facto, douloureusement. Elle ne put y résister plus longtemps. Son Chant fut brutalement interrompu par un cri de douleur, tandis qu'elle tombait à genoux.

Les Chants de Loss, Livre 3 : NasheraWhere stories live. Discover now