Rédemption

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Mon téléphone sonna. Oh il était l'heure, j'avais déjà rendez-vous avec John dans un petit restaurant local. Une seule question me taraudait alors : allais-je enfin percer son mystère ?

Je me préparai et m'habillai comme pour un rendez-vous galant. « C'est ridicule » me dis-je. Je me sentais bête d'agir comme ça. Je me changeai et mis quelque chose de plus décontracté. De moins aguicheur. « Voilà, c'est fait. » Je me dirigeai vers la porte et sortis.

Je décidai donc de prendre un bus. Là-bas on appelle ça un tro tro. Je me faisais souvent aborder par des hommes là-bas. Ils me demandaient en mariage les bougres ! Ça m'amuse tout cet exotisme. Je descendis du bus et me dirigeai vers le restaurant.

— Installez-vous à une table, me dit un serveur

Je m'exécutai. John était en retard. Je pensais alors à ce que j'allais lui dire. Il voulait connaitre mon histoire mais je n'ai pas grand-chose à raconter. J'ai senti que je devais partir alors je suis partie. Tout simplement. Une sorte d'urgence sommeillait dans mon cœur. J'étouffais, j'avais besoin de cet air pur africain. L'amour des enfants là-bas me remplissait l'âme. Je n'aurais jamais cru pouvoir vivre dans un pays aussi chaleureux. C'était très différent de Paris. Les gens sont froids et distants. Pas de demande en mariage ici. Je me sens plus proche des valeurs africaines que de celles européennes.

— Vous êtes là depuis longtemps ?

— Ah John ! Non, non, je viens d'arriver, lui dis-je.

— Bien... voyons ce qu'il y a de bon au menu de ce soir...

Nous consultions la carte. Tous les deux. Dans un silence un peu gênant. Derrière mes lunettes carrées, mes yeux parcouraient diagonalement les plats. Puis dans un souci de briser la glace, je demandai à John :

— Bon... alors, pourquoi êtes-vous ici ? Commençai-je.

— Vous ne perdez pas de temps à ce que je vois.

— C'est parce que vous m'intéressez...je veux dire... votre histoire m'intéresse.

— Je vois ça...que voulez-vous savoir ?

— Je vous l'ai déjà demandé. Pourquoi êtes-vous ici ?

—Et bien...disons que j'essaie de me racheter de mes péchés.

Cette phrase me foudroya. Lui aussi était là pour se racheter...

— Mais de quels péchés ? Lui demandai-je, sans indiscrétion

— Peu importe pour le moment. D'une certaine façon nous sommes tous là pour nous racheter de quelques erreurs que nous avons commises. Entendons-nous bien, je ne pense pas que nous soyons porteur d'un péché originel qu'on se transmettrait à chaque génération comme les chrétiens l'imagine. Je pense que dans la vie on commet tous des erreurs impardonnables. La plus impardonnable étant de ne pas se l'avouer. Sénèque pensait que l'erreur n'était pas un crime. Mais selon moi c'est le plus grand des crimes. Celui qui nous ramène à notre pauvre condition d'être humain, trop humain.

— Vous pensez donc qu'on ne devrait pas faire d'erreur ? Jamais ?

— Non, je ne le pense pas. Le penser serait une erreur, répond-il en souriant.

— Vous êtes très cultivé dites donc...

— Excusez-moi, je parle beaucoup quand je commence. En fait, j'ai été professeur de philosophie pendant 20ans, alors j'ai quelques références pour étayer mes discours pompeux et moralisateurs. Vous voyez, rien d'impressionnant. Sans citation, je ne suis plus que l'ombre de ma bêtise.

— Y'a pas de mal, j'ai toujours adoré apprendre de nouvelles choses. C'est entre autre pourquoi je suis ici, au Ghana. Pour en apprendre un peu plus sur moi.

— Ça fait longtemps que vous êtes au Ghana ?

— Presque 2 ans maintenant. Je trouve cela réconfortant d'aider toute ces familles pauvres. Ça aide à relativiser ses propres problèmes. Tout comme vous, je suis ici pour me racheter de certaines de mes erreurs passées. J'ai fait du mal à une personne que j'aimais beaucoup et j'ai du mal à me le pardonner.

En effet, ça faisait depuis trop longtemps que je vivais avec ce secret au fond de moi. Ce soir, la tristesse aidant, je crois que j'avais envie d'en parler. Il y a quelques années de ça, quand je vivais encore en Bourgogne, je suis tombée amoureuse d'un homme. Frédéric. Ce fut le coup de foudre dès notre premier regard. Tout se passait très bien même si parfois j'avais des doutes sur notre amour lors de nos disputes. Mais rien d'insurmontable. J'ai toujours été une sceptique. M'enfin, je me sentais totalement épanouie avec cet homme. Je le croyais tout du moins. Jusqu'au jour où.

— Attendez, me dit John, je passe une très bonne soirée. Mais peut être devrions nous parler de tout ça lors d'un prochain dîner. Je suis un peu fatigué de manger. Vous ne voudriez pas aller marcher un petit peu ?

— Euh d'accord, lui dis-je un peu confuse et vexée d'avoir été coupée dans ma confession.

Nous payâmes l'addition et décidâmes de sortir. Il faisait déjà nuit. Le ciel étaient toujours aussi beau, parsemé d'étoiles et de rêves. Nous discutions de tout avec John. De ma mission humanitaire, de mes goûts musicaux, il me demanda mon âge, il me fit deviner le sien. Et de banalité en banalité, je découvrais un homme qui me rappelait Frédéric. Et je sentis la nostalgie s'emparer de moi. Ce manque du passé. Je lui ai fait tellement de mal que je ne compte plus désormais. Mais encore aujourd'hui je l'aimais. Et n'arrivant pas à prendre de la distance avec lui émotionnellement, j'ai décidé de changer de pays.

— Vous savez, me dit John, je me sens bien avec vous. Je sais que ça ne fait pas depuis longtemps que nous nous connaissons mais vous parler me fait du bien. Un grand bien. Peut-être est-ce vous ma rédemption ?...

— Vous exagérez, lui répondis-je gênée.

— Peut-être qu'on devrait s'asseoir et continuer la discussion que nous avons commencé au restaurant. Aujourd'hui, c'est le premier jour d'une nouvelle vie pour moi. Comment pourrait-il en être autrement? Après tout, tout ça devait être écrit ; cette confession... Je vais vous raconter ma vie et les péripéties qui m'ont amené à venir m'exiler au Ghana. Êtes-vous prête ?

Casus BelliWhere stories live. Discover now