Chapitre 1 - Rêve impudique

Start from the beginning
                                    

Elle se lève subitement et serre l'anse de son arbalète posée sur son épaule. Je fais la moue face à son choix d'artillerie. Momo est de la vieille école alors que je préfère les armes à feu. De mon point de vue, les flèches n'égalent pas un bon fusil ni en puissance ni en cadence ni en précision. Ce n'est plus qu'une question de goût.

Momo réexamine ma blessure avant de prendre sa décision :

— Reste ici ce soir. Ton état ne te permet pas de te battre.

Son ton est ferme. Momo ne me laisse pas le choix. Je grogne de frustration, mais acquiesce. Elle n'a pas tort. Je suis incapable de me lever sans grimacer, je suis un fardeau. Pour un métier aussi dangereux que le nôtre, nous devons être dans les meilleures conditions pour aller traquer et punir les Noctambules ayant commis un crime.

Elle part et ferme la porte de ma chambre sans se retourner. Désormais bien réveillée, je refuse catégoriquement de clore les yeux. Dormir signifie penser à lui, respirer exprime son existence.

Je me lève alors dans un but bien précis. Lorsque je ne peux pas remplir ma tâche de Chasseresse, je suis tenue d'exercer une profession plus standard. J'enfile lentement un jean troué, ce qui me prend une dizaine de minutes pour éviter d'aggraver l'entaille à ma jambe. Avec un gémissement de douleur, je me relève péniblement.

Ma cuisse m'élance, mais je tiens bon. Ce n'est pas la blessure la plus grave que j'ai eue au cours des dernières années. Au contraire, mon corps est parsemé de cicatrices plus ou moins importantes.

Je ne m'évertue même pas à arranger mon visage avec du maquillage, je pense juste à me parfumer pour camoufler ma nature et à prendre à la volée ma veste en cuir avant de sortir. Je défais le chignon que je m'étais fait pour dormir et secoue mes cheveux d'un geste brusque pour faire tomber mes boucles brunes sur mes épaules. Je ne perds pas de temps, commençant à m'habituer à la douleur de ma jambe, et décide de partir à pied de chez moi. Après tout, mon travail est à deux rues de là : le bar Olya.

Les réverbères peinent à éclairer les tréfonds de ce quartier malfamé de la ville. Tout est fait pour accueillir les Noctambules et les Chasseurs dans le plus grand anonymat. Je sors les clefs de la poche de mon blouson pour ouvrir la porte arrière. Ma famille est propriétaire de ce bistrot. En réalité, je connais ce lieu pour son sous-sol rempli d'un arsenal en tout genre. En tant que Chasseurs, notre existence cachée dans la nuit est rythmée par la méfiance, la force brute et l'ingéniosité. Être entourée d'armes est une obligation pour se protéger. Au fil du temps, ce sont juste devenus des accessoires incontournables à ma vie de jeune fille de vingt-deux ans.

Je stoppe mon mouvement, range les clefs et fouille dans ma deuxième poche, et j'en extrais un paquet de cigarettes. J'ai besoin d'une pause avant de prendre mon poste si je ne veux pas envoyer à l'hôpital un alcoolique trop confiant. Une clope entre mes lèvres, je sors un Zippo de mon jean trop serré et l'embrase d'un geste sec. Au revoir la grâce !

À travers la flamme, j'aperçois un homme émerger de l'ombre pour s'approcher. J'allume ma cigarette et range mon briquet dans ma poche arrière. Dans un même mouvement, je saisis le Glock caché dans la doublure de ma veste trop large pour moi. Qu'est-ce que je viens de vous expliquer ? Je ne vais pas sortir désarmée quand même ! Et encore moins sans mon arsenal préféré, le plus précis du monde !

L'homme s'avance timidement. Il se poste à quelques mètres de moi, et passe nerveusement d'une jambe à l'autre.

Avec ma main libre, je prends la clope entre mes doigts pour tirer une latte :

— Quoi ? je me décide à cracher.

— Je... En fait... Le bar est-il ouvert ?

Je plisse des yeux. En réalité, c'est un geste inutile, car je suis nyctalope. Un bénéfice que ma mère m'a légué. L'idiot aux cheveux bruns ébouriffés semble avoir une trentaine d'années. J'expire lentement la fumée. Ce garçon n'est rien de plus qu'un humain. Pourtant, je ne lâche pas mon arme pour autant. Les hommes peuvent travailler pour des monstres. Ou un humain peut être un monstre.

— Oui, je réponds sèchement.

Il évite mon regard. Je ne peux pas lui en vouloir. Avec mon style sombre et les tatouages qui apparaissent discrètement sous mon haut, je ne suis pas la personne la plus accostable du monde. Le garçon fixe intensément ses pieds et lorsqu'il se décide à me regarder j'ai un peu de peine, il ressemble à un chiot.

Je me résous à jeter ma clope à moitié terminée au sol et à ouvrir les portes. D'un geste théâtral, je fais la révérence et lui indique l'entrée de ma deuxième maison. Après tout, si un petit chien perdu veut s'aventurer dans la tanière des créatures de la nuit, c'est son choix.

Lorsqu'il s'avance à côté de moi, je sens son regard se poser sur mes jambes. Étrange. Non pas que mes jambes soient banales, je dirais même qu'elles sont magnifiquement attrayantes ! Mais pas ce soir, pas avec un pantalon, pas en étant blessée. Je l'agrippe brusquement par le bras avant de bloquer son pied avec le mien, et le renverse d'un coup sec.

— Je suis désolée, mon mignon, j'articule minutieusement, mais je ne suis pas d'humeur, vois-tu.

Je tords son bras avec un peu plus de force. Ce qui veut dire, avec celle d'un bulldozer, n'étant pas totalement humaine.

— Ma mère m'a réveillée durant un rêve très érotique pour m'envoyer bosser dans ce putain de bar. Alors, dis-moi ce que tu veux !

Je déverse ma frustration sur lui. Mais au lieu d'avoir peur ou de gémir de douleur comme n'importe quel humain à sa place, le chiot se met à rire nerveusement.

Ce larbin n'a pas l'air de me connaître, ou il saurait que j'ai la réputation de perdre facilement patience. Je lâche son bras pour le prendre par le haut de son t-shirt, le soulève de sa hauteur avant de lui asséner un coup dans le dos avec mon pied. L'homme vole sur quelques mètres avant de se rétamer la tête la première sur le bitume dans un gémissement de douleur.

Sans le regarder, je fais craquer mes doigts avant de rentrer dans la bâtisse et de refermer la porte derrière moi. Ce soir, ma nature de Chasseuse est en congé.

Les Noctambules T.1 - Désirs NocturnesWhere stories live. Discover now