Death Battle (sous contrat d'édition HQN)

Chapitre 27

"Il a avalé une lame de rasoir.

- C'est pas vrai." Je répète.

Machinalement mon regard se porte vers l'extérieur, un néon clignote dans la rue jusqu'à ce que l'ampoule claque définitivement. Un peu comme mes espoirs, mes sentiments, mon avenir. 

Je garde la bouche ouverte, j'essaie de respirer mais j'ai impression que quelqu'un est assis sur mon buste et m'empêche d'emplir en mes poumons. Je me pince encore plus fort la peau pour rester ancrée dans la réalité.

"Clarisse, il a essayé de se suicider.

- C'est pas vrai."

J'ignore combien de minutes s'écoulent, j'ai l'impression d'une chute sans fin. J'en viens même à me demander si je n'aurais pas préféré perdre Matt plutôt que d'apprendre le décès de Chris. Ainsi j'aurais été libérée du poids de cette vérité inavouable. J'avais de plus en plus de mal à mentir, ou dissimuler certains éléments importante.

Tout à coup je papillonne des yeux et secoue la tête :

"Il a essayé ?

- Il est à l'infirmerie. La lame a fait beaucoup de dégâts et les gardiens l'ont trouvé un peu tard puisqu'il était en isolement. Dès son arrivé il s'est battu avec son co-détenu et on a du prendre la décision de l'enfermer seul, le temps que je revienne pour une évaluation psychologique.

- Est-ce qu'il va..."

Je n'arrive même pas à le dire. Je ne peux pas le croire. Il est impensable que je perde Chris. Anna prend de plus en plus de place dans ma vie et je la sens tellement plus heureuse et épanouie que moi. On ne peut pas lui enlever Chris, pas déjà, pas maintenant.

"Les médecins font tout ce qu'ils peuvent."

Je serre la mâchoire et pousse un très long soupir. En fermant les yeux une larme s'échappe et roule sur ma joue. Je l'efface alors que Matt s'approche de moi.

"Je suis désolé."

Il s'assoit à côté de moi sur le canapé et je pose une main sur son genou.

"Mais non voyons ce n'est pas ta faute. Peut-être que c'est ce qu'il avait en tête depuis le début. Quitter le quartier de haute sécurité pour pouvoir..."

Le taux de suicide chez les tueurs en série est très élevé. Privés de leur liberté, ils ne s'imaginent pas passer leur vie derrière des barreaux. Ils ne peuvent plus assouvir la moindre de leurs envies.

Je ne peux pas croire que pendant tout ce temps je n'ai rien vu.

"Clarisse ...

- Quoi ?"

Je le regarde alors qu'il fronce les sourcils cherchant à détourner le regard. Je prends alors sa main pour serrer ses doigts. Il faut qu'il explique maintenant avant que je ne sois plus capable d'entendre sa révélation.

"Matt ? Qu'est ce que... pourquoi est-ce que tu t'excuses ?

- C'est de ma faute si Chris Ford a essayé de se suicider.

- Pourquoi ?"

Je me demande de quoi les deux hommes ont-ils pu parler. Ma gorge se serre et j'hésite à retirer ma main de sa cuisse. Finalement Chris lui a tout dit ? Est-ce que Matt s'apprête à me dire qu'il sait pour moi et l'Etrangleur ? Est-ce que Chris aurais pu me trahir ? Me trahir ... mais qui joue un double jeu ici !

Je me dégoûte et je baisse la tête pour ne pas qu'il me regarde.

"Je lui ai dit que nous étions fiancés."

En un mouvement brusque je me lève du canapé et impose une distance entre nous.

"Quoi tu.. mais pourquoi ?

- Pour qu'il te libère. Pour qu'il te laisse tranquille. Je lui ai dit de ne plus t'approcher." Il se lève lui aussi mais le canapé prend place entre nous. "Il m'a dit que jamais je n'arriverai à te comprendre, que je ne savais rien de toi. Ça m'a mis tellement en colère. Pourtant je savais qu'il essayait de me provoquer pour que je craque. Et puis il a dit que j'étais trop gentil pour pouvoir te plaire."

Je me mords la lèvre. Même si c'est vrai il n'avait pas à dire ces choses là à Matt. Il ne me connaît pas si bien pour se permettre de régenter ma vie.

"Alors voilà !" il crie comme si nous n'étions pas dans un immeuble et qu'il n'était pas une heure du matin "Je lui ai dit qu'on allait se marier. "

Je cogne brutalement mon buste de mon poing comme pour essayer de faire passer de l'air. Mes oreilles sifflent. Encore ces maudits acouphènes !

J'ai la tête qui tourne aussi... Parce que je n'ai pas encore dîné. Il faut que je mange quelque chose. Dans une démarche totalement robotique je passe à côté de Matt pour rejoindre la cuisine.

"Est-ce que tu as faim ?" Je demande à nouveau.

Dans un sac plastique rose j'essaye de trouver le riz parmi toutes les boites en cartons. J'en ouvre plusieurs sans vraiment pouvoir définir ce qui me tente le plus. Je n'ai pas faim.

"Clarisse qu'est-ce que tu fais ? Tu ne vas rien me dire ?"

Je trouve le riz brun et place la toute petite boîte en carton dans le micro-ondes. 45 longues secondes que nous regardons défiler sur le minuteur.

C'est la première fois de toute ma vie que j'ai la profonde sensation d'avoir la tête vide. J'ai toujours eu peur de l'avenir. Mais ce soir, le futur est encore plus incertain que d'habitude.

Je ne veux pas répondre car alors je vais exploser d'une colère puissante. Je ne veux pas non plus le regarder car je vais avoir envie de le cogner, vraiment très fort.

J'ouvre la porte du micro onde mais en sortant la petite boite, le carton me brule les doigts et je le lâche. Il vient s'écraser au sol, répandant les grains partout sur le carrelage. C'est le chaos ! Je relève la tête et crie à Matt :

"Tu n'avais pas à lui dire ! Tu ne devais pas lui parler nous.

- Lui parler de nous ?" Il répète. "Et pourquoi non ? Je te fais honte ?

- Pas du tout.

- Mais tu n'es pas fière d'être avec moi. Tu considères toujours que je t'ai piégée. Pour toi tous ces mois ne représentent rien. Je ne t'inspire rien sinon de la pitié. Je suis le con qui s'accroche à ta jambe depuis des années et que tu regardes à peine."

La douleur pulse dans le bout de mes doigts mais ce n'est rien en comparaison des souffrances que je ressens et qui proviennent de Matt et c'est presque aussi fort que le néant dans ma poitrine.

"Clarisse je sais que tu ne m'aimes pas.

- C'est faux.

- Pas autant que je t'aime moi. Et j'ai décidé que je pouvais m'en satisfaire. J'ai tellement envie d'être avec toi que parfois je me fais honte mais c'est infiniment plus douloureux de rester loin de toi. Je n'ai d'yeux pour personne d'autre.

- Je sais.

- Laisse-moi seulement une chance de faire ton bonheur. Ouvre toi enfin à moi."

Je shoote dans la boite gisant au sol. Ce n'est pas lui qui devrait avoir honte, c'est mon comportement qui est hautement condamnable.

En larmes, je me réfugie dans ses bras et nous tombons au sol, sur un simple tapis. A genoux, l'un contre l'autre, il m'entoure de ses bras et me serre fort alors que je me laisse aller pour la première fois. Je pleure et j'ai envie de crier la rage que j'éprouve contre moi car tout ça, absolument tout est de ma faute. Le suicide de Chris, la tristesse de Matt. Je blesse et je détruis tout autour de moi. Je ne sais faire que le mal. Je dois être quelqu'un de profondément mauvais pour ne jamais avoir su me satisfaire du bonheur que Matt tenait à m'offrir.

Il embrasse ma joue et me berce.
Il me faudra plus d'une heure pour calmer mes sanglots et retrouver le sommeil dans les bras de celui qui reste mon fiancé.