Chapitre 12

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Voyons. Réfléchissons. Bien sûr je sais ce que je dois faire mais, hélas, je fais tout le contraire et c'est pourquoi j'ai tant d'ennuis sur cette Terre.

Je me dis "Surtout sois bien sérieuse, ne fais pas de choses dangereuses. Ne dépasse jamais tes limites."

Mais j'ai un défaut : je suis curieuse.

Voilà, j'ai parcouru ma route sans être jamais raisonnable.

J'ai oublié que les erreurs se paient un jour ou l'autre.

J'ai joué avec l'Etrangleur et je l'ai laissé mener la danse. Je pense maintenant détenir la clé du mystère qui l'entoure. Je sais tout de son mode opératoire et son profil psychologique est désormais définitif. Je n'ai vraiment aucune raison de revenir vers lui.

Seulement il a un avantage sur moi, quelque chose qui me pousse à le garder dans un coin de ma tête depuis trois semaines. Il prétend savoir qui je suis, pouvoir m'expliquer pourquoi je suis incapable de m'intégrer à ce monde.

Je n'ai pas demandé où il avait été transféré, je préfère ne pas le savoir pour éviter d'être tentée.

Il y a un vide en moi. Enfant, j'ai rencontré beaucoup de psychiatres qui ont tenté de m'aider. Seuls les tueurs m'ont apporté des bribes de réponses en me racontant leur propre histoire.

Je dois poursuivre mon chemin, ma quête. A défaut de trouver qui je suis, je sais que j'ai fais du bien autour de moi en arrêtant des dangers publics.

Ainsi à 8heures, je me présente à la Prison de Columbia Unit, en Géorgie. Je dois y rencontrer un infirmier de la mort qui a écumé les maisons de retraite pendant plus de dix ans. On a recensé deux cents une personnes décédées pendant ses heures de service. Il a confessé "seulement" 23 meurtres. Le plus hallucinant dans l'histoire c'est qu'il fut arrêté et condamné pour seulement trois assassinats.

Je passe d'abord par un portillon qui sonne. Je dois donner mon portable et me débarrasser de tous mes bijoux. Ensuite on vient me fouiller et on me confisque mon crayon. Je suis vraiment surprise par les mesures draconiennes que je n'ai encore jamais connu en plus de cinq ans d'entretiens avec les pires tueurs en série. Pour me rassurer, on me donne une ceinture avec un boitier de sécurité. En cas de problème je dois appuyer sur le bouton pour que les gardiens interviennent.

J'ai les mains vraiment moites tout à coup. J'ai rendez-vous dans la salle où les détenus reçoivent la visite de leurs proches.

Un mur très épais et percé de toutes petites fenêtres par lesquelles personne ne pourrait s'échapper et qui laissent donc à peine passer la lumière. Des gardiens sont armés et postés sur des estrades pour leurs permettre de mieux surveiller la salle. Des miroirs arrondis sont accrochés au plafond pour que les surveillants puissent observer tous les angles morts de la pièce. La tension monte lorsque je m'assois à table en attendant l'arrivée de James Field.

Je lui ai demandé une rencontre par courrier et j'ai été surprise qu'il accepte. Il m'a toujours semblé vouloir oublier le passé, ne pas revenir sur les faits, sur ses actes. Il a rejeté les demandes de tous mes collègues. J'ai peur qu'il ne vienne pas. Pour accentuer le côté dramatique de la situation, la porte grince. Un tout petit homme apparaît derrière. Je me lève et sens mon sang se glacer lorsque je note que Field a du mal à se déplacer. Ses pieds sont entravés, ainsi que ses mains par une chaine fixée à la taille.

J'ai souvent du discuter avec des hommes menottés mais aujourd'hui j'ai l'impression qu'Hannibal Lecter avance jusqu'à moi.

"Monsieur Field." Je dis en me levant.

Celui qu'on décrit comme un tueur sadique a l'air vraiment timide face à moi. Il ne me regarde pas et ignore la main que je lui tends. Il s'assoit comme si le poids des années pesait sur ses épaules. Je vois que le temps passé en établissements médicalisés a eu raison de son apparence physique comme de sa force mentale. Ça ne me surprendrait pas d'apprendre qu'il a subi des séances d'électrochocs et qu'on l'a drogué d'anti-psychotique.

Je ressens de la peine pour le vieil homme en face de moi. Seulement 60ans, on lui en donnerait facilement vingt de plus. Je ressens sa fatigue, sa lassitude.

Finalement le dialogue s'installe lorsque je lui parle de son enfance et de ses frères et sœurs. Je sais que la mort de sa mère a été l'incident déclencheur des crimes, donc je n'en dirai rien. Je ne suis pas ici pour le provoquer.

Ce dont on doit toujours se rappeler c'est qu'ils ont l'avantage, c'est eux qui dominent toujours les rencontres car ils savent, ils ont des secrets. Ils peuvent s'abstenir de nous parler. Ils auront toujours cette puissance du mal sur le bien. Nous espérons qu'ils nous livrent une biographie détaillée mais ils restent les maitres.

"J'adore m'occuper des personnes âgées. Un grand nombre de malades n'ont plus aucun membre de leur famille qui vienne leur rendre visite.

- Comme pour vous ?, je demande mais il m'ignore encore.

- Alors je reste à côté d'eux pour leurs parler et les écouter."

Il n'a aucune conscience du temps qui a passé. Il commence à évoquer des actes de sadisme et de maltraitance :

"Ils les font tourner sur les chaises roulantes, à toute vitesse." J'écoute et je comprends que je n'apprendrai rien aujourd'hui. "Après les personnes titubent comme si elles étaient ivres." Il est très calme, il s'exprime bien. Son regard est si loin. "J'ai vu un collègue enfoncer une banane dans la gorge d'un patient."

Il me parle pendant presque deux heures de tout ce qu'il a vu. Je comprends qu'il n'a tué personne, c'est un ange de la mort. Il a soulagé tous ces patients victimes de violences quotidiennes, de maltraitances que Field ne supportait plus. Je comprends aussi pourquoi il a accepté de me rencontrer : il avait un grand besoin de se confier. Peut-être qu'il sent que sa fin est proche ?

Je le remercie et j'ose même poser une main douce et chaleureuse sur son épaule avant qu'il ne se lève.

Je dois attendre qu'il parte avant d'avoir le droit de quitter la pièce. Je récupère mes affaires et des gardiens m'escortent. Nous passons dans les couloirs où je suis sifflée et agressée verbalement par les détenus.

Le Columbia Correctional Institution est un centre pour les plus pervers, les plus malsains, les plus dangereux des criminels condamnés. Encore sous le choc de cette rencontre unique, je n'écoute pas.

Je sens le vent caresser mon visage en sortant d'un bloc. Nous passons a côté d'une cours où même le ciel est grillagé pour éviter toute évasion. Ils sont comme dans une grande volière. Je pense déjà à l'article que je vais écrire sur Field. Ou peut-être le présenter devant les cadets du FBI ? Sauf si..

"Anna ?"

Death Battle (sous contrat d'édition HQN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant