Chapitre 1 : Mina

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Ce fut le réveil qui me fit ouvrir les yeux ce jour-là, comme tous les jours où je travaillais. Son petit bruit strident et persistant venait me tirer du sommeil et m'empêchait ensuite de céder à l'engourdissement. D'ordinaire, j'aurais grimacé et écrasé mon oreiller sur mes oreilles pour faire écran et me rendormir, mais ce jour-là était un jour un peu spécial. C'était le premier jour de mon job d'été. Alors, mes yeux s'ouvrirent en grand et un sourire se dessina sur mon visage.

C'était le père de mon meilleur ami, Paul, qui m'avait embauchée. Il était le propriétaire d'un petit atelier dans lequel il restaurait de vieux instruments, et étant donné que, petite, j'outrepassais toujours ses ordres pour aller y passer tous mes après-midi, il se proposa dès qu'il sut que je cherchais un petit boulot. C'était une occasion rêvée, j'adorais la musique et cet atelier était pour moi ce qui se rapprochait le plus du paradis. Paul n'avait jamais voulu m'expliquer comment il rénovait ses instruments, il disait que c'était trop compliqué pour une fille de mon âge et que je n'arriverais jamais à retenir toutes les subtilités pour tous les instruments qu'il accueillait dans son antre.

Une fois, je me souviens que j'avais voulu lui prouver le contraire en essayant de restaurer moi-même un vieux piano, alors qu'il était sorti faire quelques courses. Un vrai carnage... Heureusement, le piano ne constituait pas la commande d'un client, c'était un vieil instrument aux touches cassées que Paul avait trouvé par hasard dans un vide-grenier. Il était tellement en mauvais état que personne ne voulait le récupérer, alors il avait sauté sur l'occasion.

J'avais appris plus tard qu'il aurait voulu m'en faire cadeau une fois l'instrument réparé, ce qui n'était alors plus possible étant donné le massacre que j'avais entrepris avec la plus grande insouciance. En apprenant cela, j'avais été tellement penaude que je n'avais plus osé lui adresser la parole pendant plusieurs semaines. Finalement, il m'avait fait comprendre que j'étais pardonnée au Noël suivant, où j'avais découvert près de mon sapin un piano droit flambant neuf.

Huit ans plus tard, je l'avais toujours, et ce fut la dernière chose que je vis en quittant ma chambre ce matin-là. J'avais tenu à ce qu'il soit mis dans ma chambre pour pouvoir le voir et le pratiquer tous les jours.

En arrivant dans la cuisine, je fredonnais, ce qui ne m'était pas arrivé depuis un certain temps. La perspective des prochains jours à l'atelier me mettait dans une bonne humeur que je n'avais pas envie de réprimer. Ça faisait tellement du bien de sourire... pas mal de choses semblaient se liguer contre moi pour m'en empêcher ces derniers temps. Des circonstances douloureuses, des personnes...

Perdue dans mes pensées, je me cognai violemment la tête contre une épaule.

- Mina ! S'exclama ma mère, tu pourrais faire un peu plus attention.

Je grimaçai en me massant les tempes et soupirai :

- Bonjour à toi aussi, maman.

Mon sarcasme lui fit lever les yeux au ciel et elle tourna les talons pour rejoindre la cuisine.

- Tu as des céréales dans le placard, se contenta-t-elle de dire d'un ton neutre.

Je n'avais pas faim, j'étais bien trop excitée par la perspective de ma journée. Mais il fallait que je mange quelque chose, sinon elle enchaînerait sur un monologue me décrivant en détails tous les bienfaits d'un petit-déjeuner, ce qui pouvait vraiment être long et je n'avais pas le temps.

Je rentrai donc dans la cuisine à mon tour en traînant légèrement des pieds et me préparai de quoi manger.

Ce fut à ce moment-là que mon père fit son apparition. Je tâchai de masquer ma surprise. Il était rare que je le voie le matin. Son métier d'avocat lui prenait beaucoup de temps et il n'était pas souvent à la maison.

Café au laitWhere stories live. Discover now