Chapitre 33

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    « Je ne suis pas un train dans lequel tu peux monter deux fois. »



     Jamais je n'aurais de réponses à mes questions, ni d'explications à ce qui s'est réellement passé. A me souvenir d'Alejandro, je garde l'image d'un bel homme au grand cœur rempli d'amour et de haine, au regard tendre et agressif, qui peut être heureux et énervé, le tout en une fraction de seconde. Une personnalité pimentée par des états émotionnels, lancée à grande vitesse sur un chemin instable et handicapée par l'anxiété.

« Je ne me contrôle pas. » Ses changements d'états sont si brusques et si forts que ses yeux trahissent leur incompréhension, le doute de soi, le doute des autres, de ses objectifs, de ses valeurs. Cet homme qui passe de l'amour à la haine en quelques secondes, d'un visage tendre à des traits durs, d'un regard brun au noir des ténèbres, d'un corps détendu à contracté. Le doute engendre la peur, celle qui se manifeste par son impulsivité, ses changements d'opinions, ou même son agressivité. Celle qui le ronge petit à petit et qui me détruisait à grand pas. Un homme entre deux mondes.

Cette relation intense fondée sur une instabilité émotionnelle, entre l'idéalisation et la dévalorisation de ma personne, ce noir ou blanc sans passer par le gris, le caractérise comme nerveux, bien que cette colère soit animée par le sentiment d'abandon, réel ou imaginé. J'ai beaucoup trop souffert de ces changements de position, de ses paroles qui assassinent, de son impulsivité incontrôlée. Il est vrai que j'aimais le revoir pour le faire revenir à la raison, car ses yeux ne mentent pas, tout comme les miens. Il est vrai que j'appréciais de voir ce noir s'estomper pour laisser le brun éclaircit revenir dans son regard, car je savais que je pouvais lui montrer, lui prouver, le rassurer. Malgré ma douleur grandissante dans mon cœur.

Pour l'avoir vu, je sais qu'il ne se contrôle vraiment pas. Parce qu'il ne gère pas son esprit, ses pensées, son imagination qui se transforme en conviction. Parce qu'il ne se connait pas lui-même. D'une heure à l'autre, d'une minute à l'autre, ce bel andalou doux et respectueux devient agressif et méchant, car sincère et perdu, passant de l'amour à la haine. Le tout emballé par un manque de remise en question, soit une ignorance des conséquences.

Sa colère est immense, intense et souvent inappropriée. J'étais la personne présente, la personne à battre, celle qui « paie pour les autres». Parce que sa douleur est grande et son incompréhension toujours présente.


Une victime dépendante convertie en persécuteur inconscient. Une vie entre le passé et l'avenir, l'amour et la haine, l'envie et la crainte, la réalité et la paranoïa.



Retour sur le lieu du crime, belle ville andalouse. Les tentatives de renouer le lien ont été sans succès et les rues de la ville ravivent des souvenirs à la fois merveilleux et douloureux. Mais je continue mon chemin, mes projets professionnels avancent, je me promène en profitant de ces rues splendides sous la douce chaleur hivernale, et le voilà face à moi, assit à une terrasse de café.

Ce n'est pas faute d'avoir imaginé cette situation des milliers de fois. Mais parfois mon esprit s'égare, comme s'il se détachait de mon corps pendant quelques secondes, se laissant emporter par l'imagination, les rêves, le silence. Les fractions de secondes pour revenir à la réalité semblent me ramener d'un voyage lointain lorsque je réalise que nos regards se croisent depuis déjà quelques secondes. Le stress et l'émotion prennent les commandes de mon corps. Nos regards restent muets puis expriment leur étonnement. Enfin, ce retour que j'appréhendais se transforme en libération.

Ses paroles sont toujours aussi dures, la rancœur reste présente dans sa poitrine et ses yeux sont habités par des souvenirs douloureux. Heureusement, pour moi, le temps s'est écoulé. Mes sentiments sont toujours présents mais je me sens plus forte face à cette attaque. Moi aussi je sais monter sur mes grands chevaux et j'inverse la tendance.

Evidemment, les derniers mois ont été très douloureux mais instructifs. Le silence, les accusations irréelles et l'injustice m'ont laissé croire que la raison de la rupture était mon départ en France. Mais ce jour-là, mon regard plongé dans le sien, je me rends compte que sa fierté anime son cœur. Cet homme-là, je ne l'ai jamais aimé. Je n'ai aucune raison de ressentir un manque, aucune raison de renouer le lien. Me voilà libérée.


Il m'a fallu du temps, beaucoup de temps et de douleur pour réaliser que mes sentiments étaient fondés sur des espoirs et des envies. Le réel est différent. Aujourd'hui, grâce à lui, je suis plus forte, plus déterminée et plus ambitieuse. Je suis cette personne qu'il regarde de loin et qui devient inaccessible. Cette nouvelle femme qui le salue par politesse et qui ne se retourne pas dans la rue, non pas par fierté mais par force d'esprit. Et ma vie continue.

Un homme, deux mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant