1-Eleanor

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«Je me crois en enfer, donc j'y suis.»

-Arthur Rimbaud.

On ne sait jamais à quel moment sa vie va basculer.

Bien sûr qu'un évènement arrivera un jour, quelque chose qui changera tout, bien-sûr que tout le monde le sait.

Mais on est jamais vraiment prêt.

Alors on se réveille simplement un matin en comprenant que plus rien ne sera jamais pareil, certains restent, d'autres partent.

La vie a des milliers, des milliard de façons de chavirer. Cela peut-être à cause d'une terrible maladie, de révélations inouïes, de changements bouleversants, de surprises par centaines. Et puis il y a aussi la pire manière qu'elle a de basculer: il y a la perte de ceux qu'on aime.

Quand? Comment? Pourquoi? C'est beaucoup de questions sans réponses.

Il n'y a pas d'âge déterminant à quel moment est venu le temps de souffrir, de changer. Et il arrive que parfois, on soit trop jeune pour le supporter, pour se retrouver brusquement projeté dans cette réalité étouffante qu'est la vie.

Moi, ma vie a déconné un Samedi soir. Cela m'a marquée, il y avait une rediffusion de Allo maman, j'ai raté l'avion à la télé ce soir-là. C'était déjà la fin du film quand ils ont sonné à la porte, il devait être passé minuit. La suite est floue, mon psychologue dit que c'est normal, que c'est probablement à cause du choc des évènements. Cependant j'en fait des cauchemars encore chaque nuit; les policiers en uniforme, leur mine désolée, leurs explications foireuses, leurs sincères condoléances. Ils m'ont conduit à l'hôpital, je n'ai pas versé une larme, je ne devais pas encore réalisé. On ne réalise jamais vraiment. J'ai identifié leur corps couvert de bleus, de tortures atroces. Je suis rentrée chez moi et j'ai pleuré. J'ai pleuré pendant une semaine entière, cela a duré plus longtemps que ce que j'aurais cru. Ce n'était pas juste quelques larmes, c'était une averse, un torrent. Les larmes ont coulé jusqu'à ce qu'il ne reste rien excepté le vide de l'absence.

Je n'ai plus jamais pleurer depuis.

-Eleanor?

Je relevais précipitamment la tête à l'entente de cette voix et cessait de fixer le sol.

Mon psychologue me fixait en haussant les sourcils.

-Je trouve que ça vous arrive bien souvent, vous savez?

-De quoi? demandai-je, perdue.

-D'être ailleurs, s'expliqua l'homme aux cheveux grisonnants, C'est comme si vous n'étiez pas avec moi. Vous fixez le sol, le mur, vous semblez être hors de la réalité. A quoi pensez-vous dans ces moments-là pour que ça occupe ainsi vos pensées?

-Je ne suis pas sûre que ça vous concerne, répondis-je d'une voix neutre.

-Je vois, souffla-t-il en croisant les jambes avant de reprendre, Et si l'on parlait de vous aujourd'hui?

Je soupirais.

-Vous n'avez pas d'autres patients à voir?

Il esquissa un faible sourire.

-Eleanor, il faut que vous compreniez que je ne suis pas un ennemi, je suis là pour vous aider. Mais comment puis-je seulement essayer alors que vous ne dîtes rien? Vous ne voulez pas parler de vous, vous ne voulez pas parler de votre maladie, vous ne voulez pas parler de vos parents. Que reste-t-il alors?

Il me fixa avec insistance, je décidais de laisser tomber.

-Très bien, conclus-je, Vous voulez savoir quelque chose? Allez-y! Poser moi une question et j'y répondrais, peu importe ce que c'est. Ne vous gênez pas!

IndoloreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant