Helen

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Il se savait déjà non spécialiste des réactions féminines, mais ce jour-là, il se sentait définitivement impuissant. Elle s'était murée dans un profond mutisme, interrompu quelquefois par des 'oui' et 'non' dits d'une façon tellement distante qu'il en était glacé. Impossible de savoir si elle était effondrée de partir, écœurée de recommencer à travailler ou s'il l'avait déçue d'une façon ou d'une autre. Il avait bien tenté de briser cette solide glace dans laquelle elle s'était confortablement installée mais en vain. Ni cajoleries, ni paroles chaudes, ni plaisanteries n'avaient raison de son isolement. Il avait passé un bras autour de ses épaules mais c'était comme toucher une statue de marbre. Il n'osait pas demander directement ce qui n'allait pas. C'était idiot. Mais il ne souhaitait pas de conflit. C'était lâche.

Jamais la froideur d'une femme ne l'avait douché à ce point. Il en avait presque les doigts gelés et la gorge abîmée comme par une quinte de toux résistante. Et une froideur qui l'enveloppait comme un brouillard tenace. Ce n'était pas supportable. Il devait rompre cette glace qui n'était pas la bienvenue. Mais elle l'entretenait, insolemment, avec un regard féroce lorsqu'il voulait la faire fondre. Il était dans le blizzard et elle se complaisait dans ce malaise froid. Tout défilait dans sa tête. Ses pensées étaient devenues un kaléidoscope incessant d'images, d'instants qui auraient pu lui déplaire. Mais rien ne lui venait à l'esprit. Elle se contentait du minimum syndical, ne croisant son regard que lorsqu'il lui demandait si ça allait, pour lui répondre sèchement que oui, ça allait on ne peut mieux. Il n'y croyait pas une seconde. Il savait que quelque chose, à un moment donné avait tout détraqué. Mais elle était trop vexée et vulnérable pour lui avouer quoique ce soit. A sa grande honte, dans l'avion, il avait abandonné toute idée de rétablir le dialogue. Il restait là, les bras ballants dans une posture ridicule. Il pensait que c'était peut-être le genre de personne à détester les au revoir. Tout serait peut-être différent à leur retour aux Etats Unis. Mais une part de lui-même savait pertinemment que non.

-ça va? Demanda-t'il avant de regretter sa question et de se sentir encore plus stupide

- oui.

Dans ses grands yeux bruns il ne vit plus l'hostilité. Seulement l'incompréhension. Mille questions se dessiner dans ses iris si fragiles. Ses lèvres tremblèrent. Comme si elle voulait dire quelque chose mais elle n'émit aucun son.

Il voulut la prendre dans ses bras et serrer pour ne plus la laisser partir silencieuse. Il le désirait. Et il la désirait aussi. Toute entière, avec son esprit et ses fragilités. Ses angoisses. Mais les siennes à lui étaient plus fortes. Il craignait d'aggraver son cas en posant des questions auxquelles elle refuserait de répondre. Elle détourna enfin les yeux et il eut un pincement au cœur. Il resta immobile, comme figé dans le temps. Ce fut un très mauvais voyage. L'atterrissage l'acheva littéralement.

Comme dans un film, elle saisit sa valise pour prendre une direction opposée à la sienne et pour lui souffler un :

- Je te souhaite bien du bonheur avec Helen. Bon courage pour la suite.

Et elle s'éloigna aussi légèrement et dignement qu'un félin.

***


The unspeakable story(Marilyn Manson)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant