Surplomber la ville en pessi-optimistes

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Elle résista à la tentation de passer sur sa peau une nouvelle robe sombre et mis une robe blanche. Un décolleté subtil, pas vulgaire. Juste ce qu'il fallait. M. et elle allaient déjeuner ensemble puis l'après-midi était, paraît-il, une surprise. Tout constituait une nouveauté, avec lui. Sa façon de se comporter avec une extrême galanterie avec un naturel à couper le souffle, ses remarquables connaissances artistiques et historiques – il était un véritable puits de science intarissable et elle buvait ses paroles comme s'il était un oasis verdoyant qui l'avait rendue dépendante- ses jeux de mots et ses remarques profondes. Elle ne s'en lassait jamais. Elle se promis de mettre des chaussures avec lesquelles elle arriverait à marcher, mais elle passa des escarpins bordeaux. Elle aimait le bordeau. Et elle aimait les chaussures à talons. Elle avait vu ce pétillement dans ses yeux, ces éclats qu'il n'avait pu cacher la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Elle adorait ces petites étoiles filantes dans ses iris noisette. A cet instant là, elle avait l'impression saisissante qu'elle était la seule femme qui comptait au monde. Tout ceci se reflétait dans les yeux marrons clairs de M.

Elle aurait pu le reconnaître entre mille. Toujours ces iris qui captivaient ses yeux et qui étaient posés sur elle, comme si elle était la huitième merveille du monde.

- Nous avons eu du mal à nous parler, dit-il d'un ton amusé, les yeux brillants en observant sa tenue.

- Oui, nous nous sommes cherchés, répliqua-t-elle sur le même ton

Il n'avait pas changé de vêtements depuis la dernière fois. Mêmes habits sombres qui lui collaient au corps. Elle eut soudain l'image d'un corps grand et mince enveloppé par des ténèbres qui le repoussaient. Elle s'attarda sur ses lèvres charnues dénuées de rouge à lèvre prune cette fois-ci. Les voir ainsi nues lui donna un léger frisson.

- Mais qui cherche ne trouve pas forcément, fit-il d'un ton énigmatique

Elle rit. Il n'avait pas tort.

- Que voulez-vous faire aujourd'hui ? demanda-t-elle d'un ton qui se voulait désinvolte.

- Je voudrais marcher avec vous. Marcher sans m'arrêter.

Elle n'avait pas d'objection. Le simple fait d'être à ses côtés la réjouissait. Qu'il ne parle pas, cela ne la dérangeait pas. Au contraire. Elle avait tout loisir de l'observer et de penser. Elle s'attendait à ce qu'il lui montre un endroit emblématique, un endroit qui reflétait l'enfance qu'il avait vécu, un lieu qui l'inspirait particulièrement, mais rien. Il marchait droit devant lui, en parlant peu, en lui jetant des coups d'œil discrets. Elle aimait ce regard sur elle. Elle l'imaginait, les yeux brillants, passant un bras autour de ses épaules. Mais elle se disait que cela n'arriverait pas, qu'il était bien trop absorbé dans ce monde intérieur qui était si inaccessible. Elle voulait caresser du doigts ses pensées qui semblaient l'aspirer de l'intérieur. Elle se demandait ce qui pouvait autant le préoccuper. Une nouvelle création sur le feu, de nouvelles paroles sans mélodies ou des mélodies sans paroles qui faisaient rage dans sa tête. Mais pour rien au monde elle ne voulait poser la question. Elle voulait qu'il continue à marcher, là, tout près d'elle, et que tout ceci ne s'arrête pas. Si elle ne pouvait pas avoir accès à son esprit, une petite fenêtre ouvrant sur ses fantasmes, être à côté de lui et marcher dans la même direction lui suffisait amplement. Puis il s'arrêta et elle pris le pli. Elle était si pensive qu'elle n'avait même pas fait attention à ce qui se passait autour d'eux.

La vue qui s'offrait à eux était imposante. Elle compris enfin qu'il l'avait emmenée à un endroit où ils pouvaient surplomber toute la ville. Un endroit qu'elle ne connaissait pas. Toutes les maisons et immeubles s'étaient soudainement mués en minuscules champignons qui poussaient en masse. Qui pouvaient être soulevés entre l'index et le pouce. Les palmiers étaient de petits points verts qu'ils pouvaient balayer de la main. Ses pensées, elles aussi furent balayées par la beauté de la vue. Elle se tourna vers lui. Il ne la regardait pas. Il fixait un point à l'horizon qu'elle ne pouvait voir. Elle tourna la tête.

- Ici, nous prenons de la hauteur, dit-il d'un ton rêveur qu'elle ne lui connaissait pas.

Elle hocha la tête et se rappela que ses yeux n'étaient pas dans sa direction.

- Oui, nous prenons aussi de la hauteur sur nos soucis et prenons conscience qu'ils sont bien minables, répliqua-t-elle.

- Pessi-optimiste souffla-t-il, en référence à leur premier jeu de mot.

Elle sourit et se rendit compte que M. n'observait plus la vue qui s'offrait à eux. Et qu'il la regardait, elle.


The unspeakable story(Marilyn Manson)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant