Duel Entre Douleur et Vengeance

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_ Et ces voix, que vous dictent-elles désormais ?

Ma réponse, empreinte de froideur et d'un soupçon de sarcasme, jaillit sans filtre : "Elles répètent que la vie, sous ses dehors, ne mérite guère notre investissement. Nous nous plions à des lois et des règles dictées par des entités gouvernementales, nationales, par l'humain, en définitive. Vous, et votre cravate ou votre tablier, ne sauriez déterminer ma conduite, mes réactions, ni même mes pensées. Vous percevez ces voix comme des menaces pour ma vie ou celle d'autrui ; je les considère comme une part intégrante de moi-même, une facette que vous tentez de cerner, de contrôler, pour assouvir vos exigences, vos demandes, vos satisfactions personnelles."

_ Maya, j'essaie de vous aider.

Je voulais lui signifier que je n'avais nul besoin de son assistance, qu'il gaspillait son temps avec moi. En deuil, enragée, perdue, mais lucide, je n'étais pas folle.

Il y a peu, j'ai intégré ce centre psychiatrique. Ma nouvelle demeure ? Un modeste espace de 12 m², entravé de barreaux en guise de porte. Et comme privilège supplémentaire, des séances avec ce psychiatre renommé censé sonder les méandres de ma personnalité.

_ Vous ne pouvez pas m'aider, vous ne pouvez rien faire pour moi. Vous ne mesurez pas l'ampleur de ma douleur. Cette souffrance qui étreint ma poitrine, m'étouffe, m'empêche de respirer. Je suis étouffée, écrasée par ce poids insoutenable. Lorsque j'aspire à l'air, à la sérénité pour faire face à ma peine, je sombre, submergée, mes poumons se remplissent d'eau et tout s'efface.

Le reste de la séance, je demeurai muette. Tout ce que je souhaitais, c'était m'enfermer dans ma chambre et ressasser ces souvenirs, ces instants anodins autrefois, maintenant empreints de valeurs et d'une importance capitale. Qui aurait cru que les querelles pour une vaisselle non faite avec mon frère deviendraient des souvenirs précieux ?

Dans ma chambre, allongée sur mon lit, je cherchais désespérément une manière d'apaiser cette peine insurmontable. Un mot émergea, cristallin dans mon esprit : Vengeance.

La perte d'un être aimé n'est pas simplement un adieu. C'est une tempête de douleur déchirante qui consume l'âme, un ouragan qui dévaste le cœur, laissant en son sillage un désespoir abyssal. C'est dans ce gouffre de tristesse que naît souvent le frisson de la vengeance, un élan brutal pour répondre à la disparition injuste, une impulsion irraisonnée à l'idée de redresser les torts, d'apporter une forme de justice à la vie fauchée.

La vengeance se matérialise alors comme une lueur dans l'obscurité, une faible lueur qui éclaire le chemin obscurci par la perte. Elle promet une rétribution, un équilibre dans un monde qui semble s'être incliné vers l'injustice la plus cruelle. Elle devient une obsession, une quête menée dans les ombres de la nuit, les replis de l'esprit. C'est un pacte silencieux fait avec soi-même, une promesse muette de ne pas laisser l'oubli dévorer la mémoire de ceux qui nous ont été arrachés.

Pourtant, derrière cet appel vengeur réside un océan de désespoir. Car dans le désir de rendre justice surgit la réalité implacable de l'impossibilité. C'est une impuissance qui étreint l'esprit, la conscience que le passé ne peut être modifié, que la vie ne peut être ramenée par des actes de vengeance. C'est le constat amer que chaque pas vers cette soif de justice équivaut à un pas de plus dans le gouffre de la douleur, l'abîme béant de l'absence.

Mon unique dessein ? Réclamer justice. Je refusais de laisser vivre celle qui a anéanti ma famille, qui savoure sa vie alors que mon frère repose six pieds sous terre, froid, seul, dans l'oubli.

Ainsi, dans cette dualité entre le désir de venger et le désespoir de la perte, je fis une fixation sur une seule personne, celle que je considérais comme le mal incarné.


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