Par-delà le monde

2 : Par une nuit de pleine lune s'ouvrent deux chemins

Alors que le temps continue son œuvre en coulant sur le vivant comme un poison, Aya l'oublie et s'oublie finalement, désireuse de rendre sa joie éternelle à l'échelle humaine. Elle imite la valse des déplacements de la galaxie, tantôt couchée, faisant glisser son corps sur les nuages comme s'il était une étoile filante étonnamment lente, tantôt imaginant d'étranges figures, qui sont autant de constellations. D'aucuns la prendraient pour une sorcière exécutant quelque sombre rituel à la faveur du noir ambiant.

Peut-être est-ce le cas. Qu'est-ce qu'une sorcière, après tout, sinon une femme frayant avec la beauté et sa compagne la nuit ?

Aya semble à présent possédée par le démon qu'elle a appelé. Ses gestes sont frénétiques et ses cris sont ceux d'une bête que la faim rattrape. Bientôt ses vêtements rejoignent les abysses du non-sens. Ses doigts viennent les déchirer et ils jonchent bientôt sa nouvelle terre, confettis monochromes, dans un instinct qui confine à la Folie. Et pour cause ; celle-ci l'habite, guide ses gestes. N'est-elle pas superbe, elle qui donne une explication, une raison à l'errance ? Elle n'est pas compréhensible de tous. Mais, à l'heure actuelle, elle est la vérité même aux yeux de notre héroïne, auparavant égarée dans les méandres d'une pensée, aussi bien salvatrice que destructrice.

La lune éclaire le chemin qu'elle a tracé à la lumière du crépuscule. Ici, rien ne disparaît. Tout est, pour toujours. Les choses les plus infimes elles-mêmes sont sauvegardées, rien ne souffre une quelconque comparaison. La rétrogradation n'est pas de mise, elle qui se rit au grand jour de la petitesse et croit plus que quiconque en ce qui est puissant. Elle se moque que le ciel et les rochers soient immuables ; ils le sont, c'est un état que l'on admet tous. Cependant, elle s'intéresse de plus près à ce qui ne reste pas dans le temps, tout simplement car ce sont des étoiles qui ont la force de se perpétrer et de se renouveler, habitant à jamais les mémoires, aussi vides soient-elles. L'apprentissage, voilà ce que la lune pointe de son doigt phosphorescent, la plus grande qualité — peut-être la seule véritable — de l'espèce humaine.

La jeune femme renaît sous le maternel regard de l'astre. Son environnement lui-même l'éduque ; bientôt, les rôles seront peut-être inversés. Après tout, nous savons bien que l'Homme façonne ce qu'il désire pour son confort, grâce à cette incroyable intelligence qu'on lui a léguée, une capacité d'adaptation sans commune mesure, qui ne se base certes pas sur les matières premières, mais qui les utilise à son aise. A moins que nous ne suivions quelque sujet au caractère bestial, qui pourra un jour se satisfaire de l'état actuel de son lieu de vie ? Les possibilités sont multiples et nous ne pouvons les ignorer sciemment ; elles détermineront, en toute logique, les événements qui vont suivre. Or, Aya l'ignore, et je vous l'apprends tout juste, mais elle pourrait bien changer le cours du monde à tout jamais. Elle pourrait être celle qui ouvre le chemin. Ou celle qui le ferme.

Nous étudierons ces deux voies. Quelle est la meilleure ? Peut-on seulement choisir ? Je ne le crois, mais nous sommes connus pour ne donner raison qu'après avoir vécu nous-mêmes une expérience. C'est une forme de bêtise, couronnée d'un soupçon intellectuel. Mais celui-ci est si mince qu'il est parfois indiscernable face à l'inexorable résultat. On entendra souvent un vague « je vous avais prévenus » irrité et un brin désespéré. Mais on n'y pourrait rien faire, la fin nous scrutant déjà dans le blanc des yeux, sûre de sa victoire.

Alors, qu'en pensez-vous ? Même après vous avoir avertis et m'être prévenue moi-même de la présence de ce dangereux obstacle, je connais notre réponse, donnée presque à l'unanimité. Bien sûr, il y a toujours, dans une population donnée, quelques sceptiques. Mais ceux-ci ne seront jamais écoutés et décrétés fous, alors passons.

 Il est temps de commencer.