1 : La Folie ébauche son oeuvre dans de tendres couleurs

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Aya marche. Elle file, tout droit, sur une ligne qu'elle crée comme elle devient plausible. Une ligne connue d'elle seule mais qu'elle partage en silence avec tout ce qui l'habite intérieurement.

Elle ne sait où elle va. Elle ne sait si elle va. Le rêve et la réalité se confondent, inexorablement. Mais est-ce réellement important ? Cela ne l'empêchera pas de courir, de voler vers les cimes de la beauté.

Cet endroit est magnifique, il mérite que l'on s'y attarde. Déjà j'imagine des touristes faisant escale, subjugués. Mais ce monde n'appartient qu'à nous et à notre héroïne.

Cette dernière s'arrête d'ailleurs sur un rocher pour mieux le contempler. Face à elle, une mer de nuages, doux et cotonneux. Tout autour, le ciel est délicatement orangé.

Aya se rappelle une pareille scène. Elle la touche, du bout des doigts, mais ne ressent que du vide. Elle est bien là, elle en est certaine, mais elle ne peut l'atteindre. Pas encore. Alors, elle inspire profondément, se gorgeant de l'air le plus pur qui soit, pas encore dénaturalisé par... par quoi, d'ailleurs ?

La jeune femme soupire. Cela fait des jours qu'elle erre dans cette immensité, l'âme en peine. Ici, tout est pareil. Un vide inexplicable occupe son cœur. Elle sait que les choses ne devraient pas être ainsi. Son instinct lui-même le lui souffle.

Pourtant, c'est là l'occasion inespérée d'un examen détaillé de son esprit. L'endroit est lui aussi propice à l'introspection. Mais comment y procéder quand tout nous dépasse ? Quand on ne sait même plus qui on est, faute de ne pouvoir se rappeler ses propres expériences ?

A l'heure actuelle, Aya n'a qu'un seul souhait. Elle désire ardemment plonger dans un sommeil sans rêves, profond et réparateur. Ainsi, elle pourrait s'oublier, au moins pour un instant. Et à son réveil, tout serait plus clair. Cependant, pour une raison qu'elle ignore, celui-ci ne veut pas venir à elle. Sa première nuit ici, bien qu'elle eut peur, s'est déroulée sans anicroche. Elle s'est lovée à son aise sur un de ces agréables nuages, à peine surprise de ce curieux phénomène, cherchant dans un premier temps à distinguer un trou à travers cette masse, espérant découvrir un quelconque fond. Mais ses recherches se sont avérées vaines, et elle s'est endormie, les poings fermés tout contre sa poitrine, à la recherche de sa propre chaleur.

Notre héroïne sait qu'elle devrait avoir froid. En revanche, elle est incapable de deviner pourquoi. Il est des choses qui lui paraissent évidentes, presque animales, tandis que d'autres semblent remonter péniblement une cote fort pentue, mais dont elle ignore l'origine.
Ses pensées chagrines lui font reprendre sa marche. Ainsi, elle se sent plus sûre d'elle-même. Tant qu'elle pourra avancer, tant qu'elle tiendra encore debout, tout ira bien. Ou du moins, tout n'ira pas mal. La nuance a son importance.


Les pensées d'Aya dérivent, puis se fixent sur une idée qui la taraude et la nargue depuis un moment déjà. Elle ne peut s'en empêcher, ils sont partout. Les nuages. Ils sont obsédants. A perte de vue, on ne distingue qu'eux. Quelques rochers ont été semés çà et là, certes, cependant ils semblent engloutis par cette mer calme. Leurs formes, variables, sont une source de curiosité intarissable aux yeux de la jeune femme. Mais cette dernière s'interroge. Pourquoi, au nom du Ciel, en a-t-elle peur ? Pourquoi n'ose-t-elle même plus s'y allonger, alors qu'ils sont si doux ? Pourquoi marche-t-elle si précautionneusement, alors qu'ils sont si solides sous ses pieds ?
Elle pensait plus tôt qu'ils étaient beaux, n'est-ce pas ? Elle pensait qu'elle avait aimé s'y lover lors de sa première nuit. Mais plus rien n'a de logique, plus rien n'a de sens. En continuant son chemin, ainsi, elle se perd dans des méandres insondables, aussi bien concrètement que dans son esprit déjà perturbé. Des contradictions de plus en plus fortes l'assaillent. Serait-ce cela, la folie ?

La Folie. Son visage lui apparaît clairement, à présent. Il est parsemé de conscience et semé d'insouciance. Ses pensées semblent audibles ; l'air les portent lui-même. Le danger plane, inexorable, mais à cet instant, il est plus pesant que jamais. L'atmosphère a changé. Que va-t-il se passer ?


La lune est belle, ce soir. Pleine, elle surplombe ce paysage onirique et l'entoure d'une faible lueur, tendre pâleur lumineuse. Dans la nuit silencieuse, Aya rit et pleure, tout à la fois. Son corps est secoué de frissons et de spasmes incontrôlables. La joie — la Folie — l'emporte finalement et éclate plus fort encore, se jetant à l'assaut des étoiles, perchées à leur toit immuable, qui les porte depuis la nuit des temps sans jamais faillir.

La faille est pourtant là, dans cette voix qui crie sa libération et son exaltation face au cadeau du destin. La solitude n'est-elle pas magnifique ? N'est-elle pas immense de possibilités, d'absolues inavoués et inavouables ?

Aya n'a plus peur. Ce soir, elle l'emportera.  

Par-delà le mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant