Chapitre 30 : La bouteille bon marché

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Je reste ainsi durant vingt bonnes minutes à sécher, mourant littéralement de soif et m'interdisant de boire « la boisson de la réconciliation » comme je m'amuse à l'appeler. Il fait incroyablement chaud ici et il n'y a aucune fenêtre ne donnant sur le monde extérieur, aussi pollué soit-il, donc aucun moyen de me faire de l'air. On va me retrouver morte dans un hôtel particulier demain matin, car, je cite, mon supposé petit-copain n'a jamais voulu m'ouvrir la porte après une malheureuse dispute dans un restaurant de Tribeca. Non, je ne dramatise pas du tout ! Sur ma pierre tombale sera inscrite « Olivia Lawford, morte de déshydratation, car Caleb Barnes l'a laissé sécher sur un fauteuil toute la nuit ».

Sauf que je ne suis pas destiné à mourir ainsi. Soit je prends mon mal en patience, soit je tambourine comme une forcenée contre cette maudite porte d'entrée pour rentrer.

Mon choix est vite fait, mais je me relève trop vite et mon petit sac s'écrase au sol, s'ouvrant tout grand. Oh et puis merde, je ramasserais après, il y a quelque chose de plus important qui se joue là !

« Caleb ! C'est Olivia, arrêtes de faire l'enfant, je suis fatiguée d'attendre et tu me compliques un peu trop la tâche à me faire poireauter comme une cruche sur ton palier ! déclamé-je, avec ardeur, bouche assez proche de la porte. »

Pas de réponse, mais j'entends le cliquetis de la serrure qui claque. Il a fermé la porte à clef !

« Tu es sérieux là ? J'aurais cru mieux de ta part. Je me retourne dos à la porte puis hurle : Abruti ! J'ai fait marche arrière pour venir m'excuser et je t'ai même acheté un cadeau ! «

Toujours rien, je glisse le long de la porte et m'assois au sol, épuisée. À ma montre, il est bientôt minuit et je ne suis pas encore chez moi. Tout ça pour ça, c'est une vaste blague.

« Tu vas sincèrement me laisser crever sur le pas de ta porte ? Caleb, sérieux... Je sais que je t'ai blessé, mes mots ont dépassé ma pensée. Tu ne veux vraiment pas me parler ? je soupire. Bien. »

Je sens pertinemment sa présence, dos contre de dos, tête contre tête, appuyés de la même façon. Alors que je rumine en silence, mon clutch abîmée par la violente chute d'un mètre qu'il vient de subir est ouverte à mes pieds. À l'intérieur, rien de plus que mon téléphone, un mini-stylo siglé (issu de la boîte de vente de nourriture se revendiquant « bio » et « 100 % vegan », ce qu'elle n'est pas du tout d'ailleurs, à la mode en Angleterre exploitant un maximum les failles économiques de l'État pour placer ses gains dans un compte offshore aux Bahamas) où j'ai effectué mon stage en dernière année et un ticket de métro, vieux comme le monde. Lorsque je l'observe de plus près, je me rends compte qu'il s'agit du billet que j'avais essayé de faire passer pour un pass le soir de l'entrée en bourse de Mediatics. C'est un peu grâce – ou à cause, tout dépend du moment et du point de vue – à lui que je suis ici. Je reste muette en observant de long en large le morceau de papier. Eurêka ! J'ai une idée ! J'attrape le stylo et gribouille sur la partie la plus neutre du ticket puis m'adresse à l'oral à Caleb :

« Caleb, si tu ne veux pas parler, je te propose d'écrire. Je te passe un morceau de papier, lis-le et, je t'en conjure, ne le détruit pas, il a une haute valeur symbolique. Je souris en sentant une réaction à travers l'épaisseur qui nous sépare. Si tu as envie de répondre, renvoie un message sur feuille blanche, le ticket ne sera jamais assez grand. En appuyant la main contre la porte, je souris tristement. S'il te plaît, laisse-moi cette faveur... »

Alors, ticket en main, stylo dans l'autre, je griffonne à la hâte un message simple.

« Okay ? »

Impasse au projet, la porte est blindée, le moyen de faire passer un papier par en dessous est très limité.

« Entrouvre la porte que je te le passe, je n'essayerais pas de rentrer, je te le promets. »

Le cliquetis de la serrure résonne et un fin rayon de lumière apparaît. Je glisse le ticket à l'intérieur et la porte se referme violemment quand il traverse. Je manque de me pincer les doigts d'ailleurs. Monsieur Grumpy n'a pas vraiment envie de parler.

J'attends quelques minutes dans le silence en me frottant les tempes, à l'affût de chaque potentiel mouvement de mon partenaire. Par la suite, la porte se rouvre doucement et une large page blanche dépasse de l'ouverture. Son écriture, mix entre le lisible et celle d'un docteur, est à l'encre bleue. Je souris en déchiffrant le message.

« Quel type de cadeau ? »

« Du type alcool français ultra cher de la petite supérette du coin un peu glauque, mais ouverte 24/24. »

« Fun, ça se tenterait bien. Sauf que tu es une abomination venue pour me détruire. :) Sorry, not sorry, je dis juste la vérité. »

« Ouh. Ça fait mal. Moi qui avais pris cette « bouteille de réconciliation »... »

Je repasse la feuille par le trou, mais il ne revient pas. La porte s'ouvre beaucoup plus et je saute sur mes pieds en faisant face à la personne que je dois aider pour encore 5 petits jours. Je suis à bout de souffle alors que je n'ai absolument pas couru – au sens propre du terme –.

« Bien. Je t'écoute, dit-il, blasé. »

C'est à mon tour de jouer. Mais surtout de m'excuser.

Chocolat Chaud et Chantilly [Tome 1]Where stories live. Discover now