Chapitre 19: Elle débarque (et pas la dinde, malheureusement)

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Mes yeux louchent sur l'écran que je ne cesse d'allumer et d'éteindre depuis tout à l'heure. 36 fois que j'appuie sur ce foutu bouton et 36 fois que je lis ce foutu message. En boucle. Littéralement.

Sur l'horloge de l'ordinateur, il est indiqué en belle écriture noire « 6:59 a.m ». Dans une minute, il sera 7 heures et je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Mon maquillage a coulé, mes cheveux sont une broussaille indomptable, mes articulations me brûlent, mes yeux sont criblés de petits vaisseaux rougeâtres, mais je suis encore là, à moitié vivante ou à moitié morte, toujours présente.

Vers 6 heures, je me suis décidée à me lever et me suis rendue dans le bureau vide de Caleb. Le temps semblait s'être arrêté, les dossiers étaient restés ouverts, des feuillets s'échappant du tas, un verre à moitié vide trônait à côté d'une bouteille de bourbon et la pomme de l'ordinateur portable battait au rythme d'un cœur, calmement. C'était peut-être l'ouragan au-dehors, mais ce bureau restait étrangement calme, comme s'il était imperméable à tout ça.

Je suis approchée d'une des nombreuses fenêtres pour observer le paysage endormi de New York City. À certaines tours, luisaient encore quelques lumières orphelines les unes des autres. La Lune se reflétait sur certains carreaux réfléchissant, donnant de la transparence dans un monde qui ne l'ait pas. En bas, dans les rues, une multitude de voitures agglutinées devant notre porte, quelques dizaines de journalistes aux aguets, parlant devant la caméra ou attendant une sortie pour mitrailler de questions et de photo. Je ne m'étais jamais attardée à visualiser le paysage sombre de Manhattan et maintenant, je peux dire que c'est un spectacle extraordinaire. La fourmilière était simplement à moitié endormie.

J'ai soufflé d'exaspération en dénombrant toutes les personnes au pied de Mediatics puis me suis retournée vers ma place pour décrypter le message qui m'était parvenu tant bien que mal.

« Finalement, tu profites de ta jeunesse Livi... Je sais que tu as menti pour Caleb. — RC » tourne dans ma tête.

Elle sait notre mensonge alors qu'elle a disparu depuis des mois et des mois.

« Riley ne peut pas savoir à moins qu'elle me suive de près ou... »

Je m'arrête un instant, yeux grands ouverts et brûlants.

« Ou elle est intimement liée à cette affaire, murmuré-je, établissant un possible constat. »

Mes jambes se lèvent toutes seules, me surprenant moi-même. Je prends mon petit téléphone dans la main et sors, me rendant à toute vitesse dans la salle de réunion. Mes cheveux flottent au vent et je me retiens de hurler lorsque mon pied heurte quelque chose qui manque de me faire trébucher et tomber à plat ventre sur la moquette. Ultime humiliation évitée de peu.

Je ne suis qu'à quelques mètres de la salle de réunion. Derrière les parois vitrées, j'aperçois un amoncellement de plusieurs visages inconnus, trois reconnaissables. Le père Barnes est assis sur un siège épais, mains croisées sur son ventre, juste derrière une ombre qui pourrait être celle de son fils « cadet ». C'est le premier personnage que je réussis à décrypter. De l'autre côté de l'assemblée, à l'exact opposé de la table, le bon vieux Jeremiah Kowalski, une espèce de sourire mal entretenu affiché qui pourrit son visage ridé. Il sourit, mais ne semble parler que par son regard, sans ouvrir une seule fois la bouche.

Ma main qui tient le téléphone tremble terriblement quand je regarde une dernière fois l'écran. J'ai affiché un vieux cliché datant de l'été 2015, montrant la si-sûre-d'elle Riley Cordell, assise sur une des tables du restaurant de sa grand-mère, à Oxford. Elle a un visage enjôleur, une petite robe blanche lui donnant un air affreusement innocent – presque pure – et les lacets de ses Converses noires emmêlés autour de ses doigts. Le bout de la chaussure droite est recouvert de terre et une petite trace s'est déposée sur son mollet, formant une espèce de cicatrice brune fine et fugace.

Chocolat Chaud et Chantilly [Tome 1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant