15.[Akira]

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                           Jeudi 12 septembre 2013,
J'ai des courbatures, je pense, enfin, je suis sûr. Tout mon corps est endolori, et j'ai des fourmis dans les jambes. Quand j'ouvre les yeux, j'hésite à bouger.
Est-ce que c'était réel, ce que j'ai vécu?
Est-ce que je vais juste me réveiller dans un dortoir froid et me retrouver seul, honteux d'avoir fait ce rêve?
Je sais que mon réveil va sonner, dans pas longtemps. Et ça me rend dingue. Je veux pas sortir de ça.
Mon réveil sonne. Encore et encore. Je ne sors pas du lit.
⁃ Matsuok-, pardon, A-chan, tu ne te lèves pas?
C'est...la voix de Mitsukane-senpai. Il est juste à côté de moi et pourtant, je n'ose pas ouvrir les yeux. Je sens ses mains hésitantes me secouer tout doucement.
⁃ A-chan, réveille-toi!
Je me détends enfin un peu et lentement, je me retrouve à le regarder dans les yeux.
⁃ A-chan, bonjour...Tu as bien dormi?
⁃ Mitsukane-senpai... tu es toujours là?
⁃ Bah... oui. Je dors ici, tu sais.
⁃ Vraiment?
Ma voix est tremblante, je me reconnais à peine.
⁃ Oui, t'en fais pas.
Il pose une main sur ma tête et m'ébouriffe les cheveux.
⁃ Lève-toi, maintenant, sinon tu seras en retard!
Il se lève d'un coup, et en rangeant quelques affaires, il récupère son uniforme et commence à se changer... avant de se rendre compte que j'étais là et d'aller dans la salle de bains. J'essaye de me concentrer sur moi, et de ne pas être curieux.
Bah quoi, c'est normal, nan?
Je me change donc en face du petit miroir, celui entre les deux parties de la garde-robe. Mitsukane-senpai a des épaules plus larges et est plus grand que moi. Il fait probablement beaucoup plus mature que moi, et plus masculin.
Il sort de la salle de bain et arrange ses cheveux d'un revers de main. Ils balayent ses épaules, et le soleil se reflète sur son visage. Il arbore un grand sourire.
Je détourne la tête, sentant le rouge me monter aux joues, et je passe les barrettes dans mes cheveux.
⁃ Tu as déjà fait ton sac?
Hein? Ah, mes affaires de cours...
⁃ Bah nan.
⁃ A-chan, tu sais...
⁃ Je le fais jamais.
⁃ Tu veux que je le fasse pour toi?
⁃ Je sais pas si j'irai en cours.
⁃ Mais...
⁃ Je suis comme ça.
⁃ Je suppose qu'on y peut rien.
Il commence à farfouiller dans mon sac et cherche mon journal de l'étudiant, puis plonge dans mon bureau pour récupérer quelques affaires.
⁃ T'as pas besoin de faire ça.
⁃ Si je ne le fais pas, je me sentirai coupable, A-chan.
⁃ Comme tu veux.
Je me retourne, et m'apprête à mettre mes chaussures. Enfin, c'est une sorte de chaussures d'intérieur, avec des lanières de la couleur de ton année.
Mitsukane-senpai en a respectivement des vertes, et moi des bleues.
Je lui attrape les deux mains et je lève la tête vers lui.
⁃ Mitsukane-senpai...Tu...sors vraiment avec moi?
Il ne cesse pas de sourire.
⁃ Oui. Appelle moi Eiji.
Il colle sa tête à la mienne.
Ensuite, il me lâche et se dirige vers la porte. Je le suis.
⁃ On y va?
Je fais oui de la tête. Le couloir est bondé comme toujours. Rien a changé, et pourtant, avec Eiji à mes côtés, j'ai l'impression que tout est différent. Les gens qui crient, l'heure qui tourne, les escaliers et l'ascenseur bondé... C'est comme si mon monde avait pris des couleurs pour de vrai.
                           ***
Je m'assieds au premier rang en math, aujourd'hui, juste à côté d'Eiji. Yuuya-sensei me regarde avec des yeux ronds. Il ne se retient même pas de faire une remarque.
⁃ Vous êtes à l'heure, Matsuoka-kun? Et devant, en plus? Vous êtes malade, aujourd'hui ?
⁃ Je me passerai de commentaires.
Il sourit et commence son cours. Je jette un regard en coin à Eiji. Ses cours sont tellement structurés et soignés, alors que moi, je n'écris presque rien. Surtout en math, c'est limite inutile. J'ai un cahier pour tous les cours, c'est tout. Lui, il prend des notes en plusieurs couleurs, dans des cahiers séparés, d'une écriture claire.
⁃ Bon, je vais commencer par vous rendre les résultats des tests de la semaine dernière.
Un brouhaha général emplit la pièce. Je me souviens vaguement de ce que c'était. Un bilan sur tout le chapitre précédent. Les nombres complexes... bof. Yuuya-sensei me tend ma feuille, et tend la sienne à Eiji. C'était sur cinquante, en fait?
⁃ A-chan, t'as eu combien?
⁃ 50.
La tête d'Eiji change presque immédiatement.
⁃ Tu es vraiment un humain?
⁃ C'était pas difficile. Toi?
⁃ 38... m'enfin, c'est déjà pas mal. Tu pourrais encore me donner des cours...
⁃ Nan. Je suis pas prof particulier, Non plus.
⁃ Ah...
Il baisse la tête, et se concentre de nouveau sur sa feuille. J'ai été un peu trop... violent, je crois.
⁃ Désolé, Eiji. Je te donnerai cours. Quand tu veux.
Yuuya se met à écrire au tableau une série de choses qui me replongent dans un ennui interminable. Ses cours sont inutiles, en fait. Comme tous les autres cours.
Mais je suis contente, j'ai Eiji à côté de moi. Il est vraiment là.
                             ***
                       Vendredi 13 septembre 2013,
Aujourd'hui, c'est un jour pluvieux. Il fait froid, et gris. J'ai pas envie de retourner à la cafète depuis l'incident de l'autre jour... Mais je peux pas non plus aller manger dehors. Je vais manger dans la salle de la section. On vient d'avoir fini les heures normales.
Pendant les cours communs avec les autres, Eiji et moi, on se parle normalement. J'entends par là qu'on ne s'ignore pas, mais qu'on reste pas non plus tout le temps ensemble. Toute façon, je suis bien trop... embarrassé pour ça.
Je suis devant le piano, et tout le monde est déjà sorti. Shinohara est venu chercher Eiji, et finalement, me voilà seul.
⁃ Matsuoka...
Pas si seul que ça, en fait.
⁃ Nakamura...
⁃ T'es dans le dortoir avec Mitsukane?
⁃ O-oui...
⁃ Vous... vous êtes proches?
Pourquoi elle me demande ça, elle, déjà?
⁃ Ça te regarde pas.
⁃ Ah bon.
Elle tourne les talons et sort en claquant la porte, et malgré tout, j'ai l'impression que ses mots étaient comme un encouragement discret, et ça me laisse un sentiment de légèreté.
J'ouvre mon sac à dos bleu ciel, le même que d'habitude, avant de me rendre à l'évidence.
J'ai rien à manger, en fait. Je vais passer chercher un truc au distributeur du couloir. Bon, il y a pas grand chose mais je crois que je peux au moins trouver un biscuit pas mal.
Je passe dans le couloir, ou deux filles se racontent leur journée avec animosité. Elles sont dans ma classe, je crois. Enfin, dans la classe d'Eiji. C'est une petite grosse avec les cheveux au carré, et une autre, grande, avec des hautes chaussettes noires. Celles des autres filles sont blanches, pourtant... elle a une queue de cheval, et s'exclame, d'un air épuisé:
⁃ Tu sais, j'ai complètement raté math...
⁃ Tu parles, moi aussi... Je devrais demander des cours à Mitsukane-kun !
⁃ Il est beau et il a des bonnes notes, hein...
⁃ Même si en matière de cours, il faudrait demander à Matsuoka... Je te parie qu'il a eu 50.
⁃ Ce mec, c'est une machine. Oh, j'ai entendu qu'ils étaient dans les dortoirs ensemble!
⁃ T'es sûre?
⁃ Ouais... Aya les a vu sortir ce matin ensemble.
⁃ Aaaah, j'y crois pas! C'est trop dommage que les filles peuvent pas y aller avec les mecs! Sinon, je pense que je me serais présentée!
L'autre se met à glousser d'un air rêveur, avant de surenchérir:
⁃ Moi aussi... et en plus, le pauvre... je voudrais pas avoir Matsuoka comme colocataire,moi...
Si elles savaient que j'étais là...
⁃ J'arrive pas à le cerner.. il est trop bizarre... Tu crois qu'il est intéressé par Mitsukane?
⁃ C'est dégueulasse, Yoshioka!
⁃ Ouais, hein! On dirait qu'il va pleuvoir!
Elles s'en vont, enfin.
C'est vraiment aussi dégueulasse que ça?
Je range dans un coin de ma tête que la petite grosse s'appelle Yoshioka, et je vais prendre quelques biscuits au distributeur.
C'est vrai que le ciel est devenu très gris. J'espère qu'il ne pleuvra pas.
Je retourne dans la salle de la section, je me sens étonnement déprimé. Je m'assieds sur la chaise du piano, de là, je peux observer presque tous les jardins de l'école par la fenêtre.
Je savais déjà que pas mal de gens ne m'aimaient pas, mais... je ne veux pas qu'Eiji ait des problèmes. Il est populaire et est bien vu de tout le monde, alors... je ne veux pas briser son image.
Puis... qu'est-ce que j'ai de dégoûtant, en fait?
Peut-être ma tête. Mon corps. Mon comportement. Et je m'en contrefiche.
Tout ce qui compte, c'est Eiji. Parce que ça doit être lui. Ça ne peut être que lui.
Je croque dans un biscuit à la crème. J'ai l'impression qu'il fait tres sombre, alors je me lève pour allumer la lumière.
C'est à ce moment-là que le premier coup de tonnerre a retenti, comme s'il était juste au dessus de moi. Incapable de bouger, je me suis agenouillé au sol, alors que les grondements sourds continuaient, bientôt suivis par des éclairs. Je déteste l'orage. J'essaye de reprendre mon souffle et d'aller dans la salle des casiers. Je vais retourner au dortoir. Là-bas, je serai en sécurité. Un autre coup de tonnerre. L'orage est vraiment proche. Je ne vais pas arriver jusqu'au dortoir, je crois. Je sens tout mon corps trembler, tellement que c'est incontrôlable. J'ouvre le premier casier qui me passe sous la main. Ah, c'est Eiji. Je passe sa veste autour de moi et je me dirige à quatre pattes vers la porte de la salle de la section, étouffant un petit cri à chaque fois qu'un éclair traverse le ciel. Je me relève, et je me mets à courir de toutes mes forces dans les couloirs, essayant d'aller plus vite que l'orage. Tant que je ne vois rien, que je n'entends rien, j'irai bien. Dehors, c'est la tempête, il pleut des cordes. Je cours toujours, jusqu'à ce que je me souvienne de ce qui se passe autour de moi, et que je me retrouve au sol, en position fœtale. J'ai...tellement peur. C'est comme ça depuis toujours. Et ça me rend dingue. J'ai froid, je suis mort de froid, la pluie de s'arrête pas, et l'orage non plus. J'ai envie de pleurer, je sens les sanglots monter dans ma gorge. Je veux... qu'Eiji vienne me sauver. Mais... j'ai pas de portable sur moi, et j'ai même pas son numéro, de toute façon.
Les cours ont repris, déjà, personne n'est dehors, et il ne viendra pas. Je dois bouger.
Je finis par récupérer une once de motivation et me traîne jusqu'à l'entrée des dortoirs. La lumière automatique ne s'allume même pas. L'électricité est coupée?
Un frisson remonte le long de mon dos et je me force à commencer à monter les escaliers. J'arrive devant ma chambre, trempé jusque aux os, quand un nouveau coup de tonnerre me saisit. Putain, mon cœur va lâcher. J'ouvre la porte, je tire les rideaux et je me jette sur le lit du dessous, je me blottis sous la couverture. Les draps ont l'odeur d'Eiji et je suis terrifié, tellement que je ne peux pas me retenir de pleurer.

Jour de pluie (Ame no Hi) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant