Chapitre 16: Les histoires qui finissent bien ne sont pas toutes belles

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(L'audio n'est pas forcément écoutable pour tous, et le chapitre qui suit comporte un passage plutôt dur entre "**" que vous pouvez sauter au besoin - Chapitre en avance j'ai pas pu me retenir aha)

L'espace d'un instant, je pensai parler de l'article sur le Fleuriste. Ce que j'avais découvert et qui m'avait glacé le sang.

"L. Galli est l'unique survivant de l'horreur" clamait la légende d'une photo montrant un croisement sordide entre une chambre d'hôpital désaffectée et un conduit d'égout.

Bien sûr, deux faits divers m'avaient jusque là fait perdre un temps précieux, mais l'un sur un réseau de pédophilie et l'autre sur une secte sataniste m'avaient fait hésiter.

Mais le dénommé "Louis Galli" avait les mêmes initiales que Liam. Et après quelques recherches, le visage de ce dernier avec quelques années de moins et quelques kilos en plus était apparu sur l'écran. Mais son regard n'était pas le même. Confiant. Fier de lui.

Je l'aurais détesté.

Ce qui restait de Liam (ou de Louis?) me jeta un regard vide.

*

- J'avais quinze ans. J'avais déconné, et il y avait un homme qui me disait que j'allais devoir payer. J'étais loin de mes parents, il y avait du monde, une foule, des gens partout. Lui il avait un flingue braqué sur moi sous ma veste. On aurait dis qu'on était proches, alors les gens nous laissaient passer. J'ai pas su quoi faire, alors j'ai avancé, tout comme il l'a dit. Après il m'a fait respirer un truc, et j'ai plus rien vu. Quand j'ai ouvert les yeux, j'étais dans cette putain de maison sombre. Celle où j'allais vouloir mourir pendant quatre ans. Il y avait déjà d'autre gosses. Le muguet, la violette, la marguerite. On s'entendait souffrir, et des fois on parlait. Ils me disaient qu'ils voulaient voir la mer. Ou leur mère, je sais plus trop. Et lui il a fini tout ça. Un malade. Un putain de malade. Ça puait la fleur. C'était beau apparemment. Il nous disait que c'était lui qui nous rendait beaux. Toute cette merde il appelait ça le "processus".

Le fleuriste semblait vouloir créer un tableau à chaque fois. Un garçon, une fleur, un mois. Il pensait que son travail, bien que douloureux pour les garçons lui permettrait le renouveau.

Et chacune de ses œuvres d'arts, après ces années de captivité finissait le dix du mois par être exposé dans un endroit public.

Liam avait été trouvé un 6 mai, période ou devait être exposé le muguet. Mais à quelques jours du tableau final, il avait succombé à ses blessures malgré les soins prodigués par l'hôpital.

Le lys, celui qui venait après Liam s'était pendu quelques jours après avoir été libéré.

- Il avait choisi tout le monde pour son horreur organisée, mais les garçons n'ont pas tous survécu. Alors il en a cherché d'autres. C'était plus brouillon, et ça doit être comme ça qu'il s'est fait repérer. Enfin il en ramenait toujours en même temps. Des "non-conformes" comme il les appelait. Il s'en servait pour tester ce qu'on pourrait supporter. Surtout moi. Il avait un truc avec les roses. Et la rose c'était moi. Il me disait toujours à quel point j'étais parfait. A quel point j'étais fais pour ça.

Chaque jour, il torturait les pauvres gosses. Il cachait son sadisme extrême derrière des prétextes artistiques. Enfin c'est ce que disaient les enquêteurs.

Pervers, avec un ego tout à fait surdimensionné, comme beaucoup des monstres de son espèce. Mais pas assez d'erreurs. Et trop de victimes. Les douze du début. Sauf Liam, bien sûr. Leur remplaçants. Et tous les testeurs dont on avait retrouvé les corps dans le grenier.

- Il y avait les vrais séances où il en prenait un à part et où il faisait les brûlures, les injections et les ablations de chair. Il mettait un point d'honneur à tatouer la révélation. C'est comme ça qu'il appelait les phrases sur nos bras. Il a foutu ces vers sur nos peaux comme si on était rien de plus que des vulgaires putains de toiles. 

*

Il s'éclipsa quelques instants, faute à l'alcool. Quand il revint, il enleva son costume et sa chemise, pour se retrouver dans un débardeur gris qu'il devait toujours mettre sous ses sweat gris.

- " Il vous a quitté dans la saison des roses".

- C'est de Hugo. Mais quitte à choisir, j'aurais préféré un autre motif, dit-il avec un air désabusé. Le pire c'est qu'il y en a partout des roses, toujours. Des fois j'ai des flashs. je me dis qu'il faut que je me calme. Que tout ça c'est passé. Mais ça reste. C'est devenu un tel morceau de moi que je me tais, toujours, parce que j'ai envie que ça s'arrête. J'ai envie qu'on me foute la paix avec tout ça. Qu'on arrête de ressasser et de m'emmerder. C'est pour ça que j'ai poussé Mathieu. Mais je m'en fous qu'il soit mort. Je sais c'est mal. Mais je pouvais pas supporter plus. Il disait que j'avais aimé cet enculé de fleuriste. Et lui pareil. Mais moi je veux pas.

Ses traits se tordirent et pour la première fois, je pus voir le vrai visage de Liam sans les fards habituels. Ses sanglots laissaient voir à quel point il était fragile, et troublé, et désorienté. A quel point il avait voulu cette main que je ne lui avais pas tendu par égoïsme, cette aide motivée par l'appât du gain. J'étais vraiment, vraiment le dernier des crétins. J'en aurais pleuré de honte et de dégoût.

Mais il y avait assez de larmes comme ça, et je passais seulement un bras rassurant autour de son épaule.

- Je voulais juste qu'on accueille Liam Guignard comme il est. Sans Louis Galli. C'était mon nom de naissance. Celui de ma mère. Elle m'avait eu dans un moment où mon père et elle s'entendait plus ou moins. Mais il est revenu. Pour moi en partie. C'est sans doute pour ça qu'elle m'aimait autant. Et le fait que je sois le petit dernier aussi sûrement.  C'est pour ça que ça lui a tellement fait de mal quand je suis parti. Et quand je suis revenu, tu sais... Je crois que c'est comme si elle respirait de nouveau. Après quatre ans où ils m'ont cru mort...

C'était donc ça qui m'avait frappé dans le salon: le cadre et le ruban entourant le portrait de Liam était noir. Et il devait y avoir une phrase dessous. Comme un hommage au fils disparu. Ils ont pensé que jamais ils ne le reverraient.

- Il y avait les journalistes, les médecins, et toutes les familles. Quand ils ont permis aux parents d'entrer pour voir le seul survivant, quand ils étaient sûrs que je n'étais plus en danger, c'était horrible. Il y a eut tellement de mères qui espéraient que ce soit leur fils. Mais il n'y a que la mienne qui a pleuré de bonheur. Elle a hurlé mon prénom et je crois que je n'ai jamais ressenti aussi fort le lien qui nous unissait. Elle est venu chuchoter des choses à mon oreille. Pendant plusieurs jours elle m'a regardé dormir de sa chaise d'hôpital. Mon père la soutenait du mieux qu'il pouvait.

Il sourit à cette évocation, et reprit, les yeux un peu plus vagues.

- Le retour ça a été bizarre. Mes frères et sœurs étaient toujours à la maison, et il y avait des photos de moi partout. Des phrases aussi. Des trucs comme "dans nos cœurs a jamais".  Des tracts aussi, avec ma tête dessus. Une fois que ça s'est su, tout le monde m'apportait des cadeaux, des fleurs, le téléphone sonnait sans arrêt. Alors on a tout arrêté. J'ai changé de nom, on a déménagé sans laisser d'adresse ni de numéro. Mes parents ont vraiment été fantastiques, ils m'ont aidés, jusqu'à me faire reprendre le lycée. Mais je ne peux pas enlever une hantise de ma tête.

- Laquelle?

- Le Fleuriste. Il court toujours.

Le secret de LiamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant