Chapitre 6: Le condor passe mais les trois poules vont au champ

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(En média mon inspiration pour ce chapitre qui est un air traditionnel d'Amérique du sud repris par un joli petit amérindien.
Et si l'histoire te plait, tu peux cliquer sur la petite étoile, ça fait toujours plaisir)

*

J'avais dû me contenir, encore une fois.  Serrer les poings à m'en faire rougir les paumes. Éviter de taper dans le crâne vide de cet imbécile. Il sentait la faiblesse de Liam. Son usure. C'est ce qui l'avait fait attaquer. C'est ce qui m'avait fait intervenir. Je ne supportais pas cette tendance si présente de l'humiliation et de l'élimination des plus faibles. Je n'avais pas voulu être complice de cette mascarade.

L'ennui restait la réaction de Liam. Il avait crû que j'avais agis dans son intérêt, pour le protéger. Il avait même pensé qu'on était amis. Amis. Je n'avais jamais vraiment eu d'amis. Des gens avec lesquels nous avions des échanges de bons procédés, oui. Des gens que je n'avais vite plus voulu voir d'ailleurs. Des "gens", tout simplement. Hors de question de me lier à quoi que ce soit d'ici. Je voulais partir. Oublier cette agonie en pays développé. Mon lac m'appelait.

Alors j'avais dû lui parler sèchement. Imiter l'indifférence et le mépris. J'aurais voulu m'excuser. Lui dire que j'aurais aimé voir dans son passé. Comprendre sa différence. Apprivoiser le condor blessé dans son cœur lointain. Mais je ne pouvais pas le laisser s'attacher à moi. Parce que j'allais partir. Et que je ne voulais pas le briser. Parce que je l'admirais. Parce qu'il avait cette flamme qui refusait de s'éteindre. Parce qu'il était un puma qui s'ignorait au milieu des vicuñas.

Je sentis toute la journée le poids de son regard sur moi. Celui de Mathieu aussi, qui devait attendre que je parte pour essuyer de nouveau son agressivité sur Liam. Aussi je fus soulagé en montant dans le bus. Je fronçai cependant les sourcils en remarquant ce dernier derrière moi. Mathieu sur ses pas.

Je le crus prêt à descendre. Puis je le vis hésiter, et se raviser. Me suivait-il?

C'était plutôt comique: j'étais descendu un arrêt plus tôt, et marchait d'un bon pas à travers les petites rues, Liam sur mes talons, Mathieu sur les siens. J'avais presque envie de fredonner cette comptine stupide qui parlait de poule qui vont chanter.

Un cri me fit soudain sortir de mes pensées. Je savais sans même regarder que si je n'intervenais pas, Liam allait passer un mauvais quart d'heure. Mais c'était de sa faute aussi, pourquoi n'était-il pas rentré directement chez lui? Il aurait pu ainsi prévenir ses parents, et tout serait rentré dans l'ordre. Non, cette fois il fallait que Liam comp...

Sans savoir pourquoi, je courus en arrière et séparai violemment Mathieu de sa victime.  Je l'agrippai rageusement par le col et le regardai droit dans les yeux.

- Maintenant tu le laisses tranquille.

- Lâche moi bâtard d'indien! Toi je te touche pas tu me laisses faire ce que je veux. J'ai des potes qui peuvent régler ton compte, si tu veux encore te mettre entre moi et mes proies. Et lui c'est ma préférée. Riche et trouillard. Hein canard? dit-il à l'adresse de Liam.

Celui-ci me regarda avec un air suppliant et je poussais juste violemment le blond, qui atterrit pitoyablement sur le dos. J'étais de taille à lui résister, mais tant que ça restait entre lui et moi. Sans sa bande. Et sans Liam dans les pattes.

Je n'étais pas son garde du corps. Désormais, il devrait se débrouiller seul. Je m'éloignais à grand pas, désireux de retrouver ma chambre et ma sérénité. Il y avait beaucoup trop de brouilles pour moi ces derniers temps. Et mon oncle m'avait prévenu: "pas de vagues".

- Aponivi! Attends moi!

- Qu'est ce que tu veux?

- Que tu m'aides.

- Pourquoi je ferais ça? T'es ni mon pote ni mon frère. J'ai aucune raison de jouer les héros.

- Même si je t'offrais quelque chose? Ce que tu voudras de matériel?

- Ce que je veux est hors de prix. Tu ne pourras jamais y parvenir.

- Mon père est directeur d'une multinationale. Produits de luxe. L'argent n'est pas un problème pour moi.

- La seule chose pour laquelle j'accepterais de jouer l'ami protecteur serait un billet pour Quito, et de quoi vivre deux ou trois mois là-bas.

- J'ai besoin d'une protection et d'un ami, même faux. Sois mon ciel et mon toit, et tu pourras caresser l'horizon. Quelques mois à veiller sur moi et tu pourras aller là-bas.

Mon rêve semblait prendre naissance au bout de mes doigts, attendant seulement que je le saisisse. J'aurais dû réfléchir vraiment, arrêter de toujours me précipiter. Mais l'Équateur hurlait en moi plus fort que jamais.

- C'est d'accord, si j'ai ta parole, je veillerai sur toi. Jusqu'à la fin de l'année, je serai ton allié. Pour le meilleur... et pour le pire.

Il tiqua légèrement sur le mot "pire" mais me tendit la main avec une détermination farouche.

- Entendu. Je m'engage en échange à te fournir un billet d'avion pour Quito et de quoi démarrer une nouvelle vie dans le pays, mais également à ne rien dire à personne, et à ne jamais chercher à te dissuader.

- Marché conclu!

Je serrai sa main dans la mienne et elle me sembla si petite et si fragile que j'eus l'impression de faire un pacte avec un enfant.

- Promets moi que toi et moi on se retrouvera. Dis-moi que tu reviendras.

- Si je peux...

- Promets, Aponivi. Promets.

- C'est promis.

Mes promesses se rejoignaient. Dans moins d'un an j'aurai quitté ce pays froid et vide, ce lycée laid et hostile, ces gens stupides et méprisables. Le monde était à moi, et enfin, il me semblait que j'allais reprendre le contrôle de mon destin.

Je raccompagnai Liam jusqu'au bus. Une demi-heure environ avait dû s'écouler, pourtant il semblait que l'heure de pointe avait fait disparaître les gens. Tant mieux.

Après un bref salut de la main, je repartis en sens inverse, désireux de me retrouver rapidement chez ma tante. Dans le cas contraire j'aurais le droit à un véritable interrogatoire. Et elle décèlerait quelque chose. En fouillant, en réfléchissant, elle finirait par comprendre que j'avais trouvé un moyen. Et elle se dresserait entre l'Équateur et moi. Et ça, c'était tout à fait hors de question. Pas cette fois.

Le secret de LiamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant