Chapitre 3: Pieux mensonges et vérités acérées

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(En média un morceau qui conforte l'atmosphère du chapitre)
*

- Liam!

Ma mère m'étreignit avec force, et sembla ne jamais vouloir me lâcher.

- Ça va maman, ne t'inquiète pas, répondis-je en la repoussant doucement.

Je savais que mes incitations à la détente étaient vaines. Elle avait cette lueur de peur dans le regard. Elle l'aurait pour toujours.

- Alors ce lycée? 

- Pas mal.

Si on exceptait les camarades agressifs, les profs pleins d'une pitié mièvre et l'impression d'avoir fait un bon dans le temps, ça aurait même pu s'approcher du "bien".

- Tu vois, c'était une bonne idée d'y retourner.

- Oui... Papa rentre tard? dis-je pour détourner la conversation.

- Non, il devrait être là rapidement. On a prévu un restau pour fêter ta rentrée.

- Fêter ma rentrée?

- Oui: Théo, Mae et Léna ont même promis de se joindre à nous. Ils seront heureux de voir que tu te plais à Saint-Julien.

De toute évidence ils s'attendaient tous à ce que le lycée appelle, voyant que je ne supportais toujours pas les cours. Il valait donc mieux éviter de leur dire que j'avais fais une crise lors d'une alarme incendie stressante. J'en parlerai à ma psychologue, et cela devrait suffire.

J'étais heureux de voir ma famille se réunir autour de moi, surtout si l'on considérait que mon frère aîné et les jumelles bien que très occupés trouvaient le temps de se libérer. Ce que j'aimais moins était le faux sourire que je me sentirais obligé d'afficher dès que nous serions tous ensemble. Il faudrait alors que je fasse semblant d'avoir passé une excellente journée, de m'être fait au moins un ami et de n'avoir pensé que très brièvement au traumatisme. Après quoi nous souririons et papa serait fier de nous présenter à une ou deux connaissances venues le féliciter du succès de son entreprise.

Et le soir, seul avec mes fantômes, je devrais hurler en silence pour les repousser. Si maman arrivait pour s'assurer que j'allais bien, il faudrait que je me tourne vers le mur et que je respire fort afin de lui faire croire que je dormais profondément.
Comme chaque soir.

Je montais néanmoins troquer mon sweat devenu bien trop large contre une chemise et une veste de costume. Le garçon dans le miroir ne me plaisait pas. Il était faible, émacié et fuyant. Tu es laid, Liam, mais avec moi, tu te sentiras beau, tu verras. Passé, tout ça c'était passé. Alors je me redressai et arborai un air fier. J'avais l'air ridicule d'un lièvre engagé à l'armée. Tant pis.

Deux heures plus tard, nous étions tous attablés en face d'assiettes soignées, nous souriant presque sincèrement. Ce fut Théo qui le premier rompit le silence:

- Alors Liam, ça s'est bien passé?

- Oui, c'était plutôt pas mal, les profs sont gentils.

- Tu t'es fais des amis? renchérit Mae.

- J'ai parlé à un certain Aponivi, il a l'air... sympathique. dis-je, hésitant sur le terme à employer pour décrire mon camarade.

- Super! Tu nous le présenteras?

- Euh... on est pas très proches encore.

- Ça viendra, me rassura ma mère. Je suis tellement fière de toi mon petit chat.

- Maman, s'il te plaît c'est gênant.

- Excuse-moi. Elle sourit doucement.

Je me rendis de nouveau compte à quel point elle était fragile. Alors je me promis de lui ramener Aponivi, pour la rassurer. Lui montrer que je recommençais à vivre et que j'aurais un bel avenir. Ou au moins un avenir. Mieux valait un objectif à ma portée.

À la fin du repas, après une brève étreinte aux filles et à Théo, nous rentrâmes, Papa, Maman et moi, à la Villa aux nasses.
La villa en question était un large pavillon lumineux et sûr, dans lequel j'aimais me retrouver. Autrefois propriétés de pêcheurs, les maisons avaient été rasées et rebâties avec tout le confort possible. Maman, décoratrice d'intérieur en avait rapidement fait un petit bijou a l'ancienne, très confortable et accueillant.

Une fois arrivés, après une embrassade à mes parents, je montai directement. J'avais un trop plein à évacuer de toute urgence.

Ma chambre était belle, rassurante, tranquille. J'aimais réellement m'y retrouver, seul, parfois pendant de longues heures. De plus, elle avait l'avantage de fermer et de posséder un isolement acoustique parfait, ce qui me permettait de hurler sur mes morceaux préférés de Cannibal Corpse.
Ce que je m'empressais de faire. C'était assez idiot et je devais avoir l'air d'un parfait crétin, mais personne ne me voyait. Et tout se libérait enfin.

Liberté...

- Petit! Petit, reste avec nous, accroche toi! C'est fini tout ça maintenant.

- Merde! Merde c'est dégueu, merde Alex, viens voir il y en a partout. Putain, quelle merde!

Je me lovai en boule sur mon lit. Même la fin du cauchemar restait douloureuse pour ma mémoire meurtrie. La découverte de tout "ça". Mais ça n'était rien comparé à la douleur de vivre ça. Ça n'était rien lorsqu'on avait passé quatre ans à hurler la souffrance et la haine à en écorcher sa voix. Quatre ans à pleurer toutes les nuits sachant que le lendemain ne serait pas meilleur, ni même le reste de la vie. Quatre ans à sentir l'entêtant parfum de rose, par-dessus celle de la pourriture rance et du désinfectant, et à savoir que la fin approchait jour après jour, monstre noir, ténèbres étouffantes.

Et les lueurs, ces imbéciles de lueurs au loin. 

Et chacun, chacune m'y ramenait, sans comprendre, sans savoir, sans discerner rien qui vaille la peine. Ils étaient tous pareils, dans leur quotidien tranquille. Laids, cruels, abjects.
Et ils avaient ces crocs; ces crocs de loup.

Le secret de LiamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant