8. Before the storm

Depuis le début
                                    

Dans l'ascenseur, j'en profite pour vérifier l'état de mon maquillage. Je me répète tout le long de la montée "ça va aller, ça va aller, ça va aller". 

Quand je sors de l'ascenseur, je prends une grande inspiration : c'est le moment de se jeter à l'eau. Comme l'hôtesse me l'a indiqué, j'emprunte le long couloir sur ma gauche, en essayant de me faire toute petite jusqu'à ce que je trouve le bureau de Monsieur Lawrence. C'est bizarre, cette impression que j'ai de ne rien avoir à faire ici, je me sens comme une gamine sur le point de faire une bêtise, sans aucune raison valable. Ma tentative de discrétion tombe vite à l'eau : au moment où je passe devant une grande salle de réunion, une voix crie au fond du couloir:

- Miss Garnier?

Je ne me rends même pas compte qu'on s'adresse à moi. L'inconnu répète:

- Miss Garnier ? Mélanie Garnier ?

Comprenant enfin que c'est à moi qu'on parle , je me demande si ce type est devin. Comment sait-il que je suis dans le couloir ?

Accélérant le pas, je m'exclame:

- Oui, c'est moi, j'arrive!

Plus débile, tu meurs. J'arrive devant un grand bureau à l'intérieur duquel tout est blanc, sols inclus, à l'exception de l'ordinateur portable qui trône sur le bureau. Essoufflée, je me précipite dans la pièce en empêchant tant bien que mal mes pieds de s'emmêler. L'homme debout en face de moi doit avoir la trentaine, il me regarde des pieds à la tête et me salue sur un ton guindé qui n'a rien à voir avec la décontraction de sa tenue vestimentaire : tee-shirt noir,  pantalon noir et sneakers blanches.

- Bonnnnjouw, Miss Garnier. 

Il fait l'effort de s'adresser à moi dans ma langue maternelle, mais fronce des sourcils très bruns qui surplombent un regard aigu. Ses lèvres pincées attestent de son agacement. Je ressens immédiatement un malaise, sa façon de me scruter est proprement dérangeante. 

Je souris et lui répond le plus chaleureusement possible malgré ma gêne :

- Bonjour, Monsieur Lawrence.

  Ses bras sont couverts de tatouages. Je m'attendais à au moins une veste de costume, ou du moins quelque chose qui me rassure sur ma propre tenue, mais c'est tout l'inverse. Donc, l'hôtesse n'était pas dingue, je ne suis juste pas tombée dans une boîte comme les autres.   

- Je vous ai vue arriver avec les caméras, là, m'explique-t-il en montrant du doigt un écran posé sur son bureau. Et appelez-moi Chuck, ici les noms de famille sont interdits. 

Il parle vite, et n'articule pas. Il me faut du temps pour comprendre ce qu'il me dit. Ses gestes sont secs et précis. Quand j'acquiesce, il a un mouvement de tête agacé. Bon sang, qu'est-ce que ce type est intimidant ! Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche que déjà il reprend :

- Donc, Mélanie, je n'ai pas le temps de m'occuper de vous aujourd'hui. Erin ici présente vous expliquera ce qu'on attend de vous durant ces six mois.

Il désigne un autre bureau sur sa droite, attenant au sien, tout aussi blanc. La dénommée Erin, une brune aux cheveux coupés au carré, a rajouté plein d'accessoires de couleur sur son bureau. Elle se redresse sur son fauteuil et me fait une signe de la main en souriant d'un air compatissant. Et elle porte un blazer. Je la range immédiatement dans la catégorie des copines potentielles.  

Une sonnerie retentit tout à coup dans la pièce. Chuck sort son téléphone de sa poche d'un geste vif et me dit en s'éloignant vers le couloir :

- Bienvenue chez Live Nation!

Je n'ai pas le temps de répondre, il a déjà quitté la pièce.  
Perplexe et les bras ballants, je me tourne vers Erin. A son expression amusée, je devine qu'elle a compris l'effet qu'a eu sur moi Monsieur Lawrence, enfin non, Chuck.

- Ne t'en fais pas, me dit-elle d'une voix rassurante. Il est tout le temps comme ça. C'est un manager de génie, mais il a un problème avec les gens. Tu t'y feras !

- Oh, euh, okay. Je me demandais si j'avais fait quelque chose de travers !

- Tu sais, avec lui, on fait tous des trucs de travers. Il faut apprendre à ne pas y faire attention, sinon tu vas passer ton temps à te torturer pour rien.

Erin s'avance vers moi pour me faire la bise. L'air extasié, elle m'explique :

- C'est le truc que je préfère chez les français, dès que j'en vois un, je ne peux pas résister !

Un rire de surprise s'échappe de ma gorge. Cette fille est marrante, c'est une boule d'énergie. De sa voix forte et grave, elle me prend par l'épaule et reprend :

- Viens, je vais te montrer ton bureau.

Je m'attends à ressortir dans le couloir, mais elle m'entraîne dans la pièce d'où je l'ai vue en arrivant : masqué par le mur, un bureau vide m'attend, juste en face du sien. De la musique soul s'échappe doucement d'une enceinte portable posée sur une console. Elle poursuit en me désignant l'espace vide :

- Tu peux poser tes affaires, fais comme chez toi! 

Ses gestes presque théâtraux me font sourire. Grande et élancée, la peau mate, Erin a tout de la fille qui déborde de confiance et dévore chaque instant qui s'offre à elle. Exactement ce dont j'ai besoin là tout de suite pour me sentir à l'aise. Je m'exécute et elle continue sur sa lancée :

- Tu veux un café? J'espère que tu aimes ça ? Parce qu'ici, tu en auras besoin !

Riant de son sarcasme, elle n'attend pas ma réponse et se retourne pour allumer le bouton d'une Nespresso qui trône sur une étagère basse (et blanche, évidemment) derrière son fauteuil. 

Je jette un œil curieux à l'ensemble de la pièce. Malgré la blancheur immaculée, l'endroit n'est pas froid. L'énergie débordante d' Erin y est sans doute pour quelque chose. Elle reprend, en se penchant sur son bureau pour attraper une tasse:

- Alors, je vais commencer par t'expliquer en quoi va consister ton travail. Ici, notre mission, c'est de faire en sorte que les artistes de Chuck aient tout ce dont ils ont besoin quand ils en ont besoin. Ça fait un peu esclavagiste, dit comme ça, mais en fait, c'est vraiment, vraiment cool. Ça peut aller de la bouteille de Dom Pérignon d'une année où tu n'étais même pas née qui manque dans une loge à des conseils vestimentaires ou de la gestion d'interview. En gros, tu dois être joignable en permanence et ne pas compter tes heures. Ce soir, par exemple, Chuck donne une soirée après un showcase. Tu seras là. En période de crise, Chuck me demande aussi de gérer l'organisation des concerts. Le gros avantage, c'est que tu vois tout de l'intérieur. Tu assistes à des concerts de folie, tu manges les petits-fours, tu bois du champagne, tu croises des gens un peu connus. Mais attention, Chuck est intraitable là-dessus : ce ne sont pas tes amis. Jamais. Rester professionnelle en toutes circonstances. T'es prête?





Alive - Tome 1 - Edité aux éditions HLabOù les histoires vivent. Découvrez maintenant